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Fragments écrits

Ces faux plis qu’on ne repasse plus

Nous nous retrouvons dans un bar mais le lieu importe peu en réalité. J’ai envie de le voir, de discuter avec lui, je sais que nous avons des choses à nous dire. Je l’ai vu pleurer ces derniers jours, souvent de joie. Il s’est reconnecté avec ses émotions m’a-t-il annoncé. Je me suis souvent dit que j’aimerais pleurer plus facilement mais je n’y arrive pas. Il y a juste eu ce film, Toni en famille, qui m’a cueilli et fait sortir toutes les larmes de mon corps sans autre forme de procès. Je me suis trouvé un peu bête à ne rien pouvoir contenir et sans être capable de dire autre chose au réalisateur que je n’avais plus de larmes en réserve. Soit dit en passant comme parler en public me terrifie dans bien des cas je n’ai pas été malheureux de me faire comprendre en quelques balbutiements et de recevoir une accolade en retour. Normalement lors d’une rencontre, et quand j’ai un truc à demander, il faut que je note ce que je vais dire, même les choses les plus élémentaires, de peur de perdre pied. Là, j’ai juste eu besoin d’un « je ne sais pas quoi dire d’autre que je n’ai plus rien à chialer ». De l’émotion directe sans crainte de paraître penaud ou maladroit. Il est peut-être là le cœur du sujet.

Nous nous retrouvons et discutons. La dernière fois c’était un an en arrière, précédemment encore un an plus en amont… Bien sûr je lui dis que j’ai pleuré devant le film, naturellement je sais que cela lui parle. Je le sais de façon intuitive, instinctive presque. Nous avons des choses à nous dire et d’emblée je ne pose aucune barrière. Ses amours, les miennes, ses fausses routes, mes idées vaines, nos fragilités qui n’en sont pas. Ce temps là c’est le mien, le sien, le nôtre. Le temps accordé à nos vies dévidées, le temps de l’écoute, de la compassion aussi. Un temps sans enjeux, ni séduction, ni besoin de convaincre. Juste ce temps-là. Un instant où tout est suspension, où chaque phrase percute, s’entrechoque avec une autre et résonne dans le corps. Car il est question de corps, de corps dans le temps, de ce que l’on en fait, des fluides qui nous meuvent, des doutes qui nous envahissent, des certitudes libératrices, de notre regard sur cette masse habitée, de cet objet qui nous appartient et dont on pourrait se dessaisir. Et du temps. Celui qui agit comme un baume quand on lui laisse le loisir de nous guider, celui qui a passé et qui finit par annoncer que la principale prise de risque est de se prémunir du relief et de ne pas sauter dans le vide. Le temps consacré à nous inventer des prétextes pour ne rien tenter et renoncer. Le temps qui, parce qu’écoulé, nous donne l’injonction de vivre, d’aimer, d’affronter sans mettre de côté, de reconnaître nos erreurs.

Ce qui compte n’est pas d’araser les plis mais de regarder ce qu’il y a à l’intérieur. Dans ce bar il n’y a alors plus rien d’autre autour de nous qu’une énergie qui nous saisit. La même qui nous fait dire que nous changeons sans devoir nous polir ; la même qui nous a convaincu que nous avions des choses à nous dire sans nous raconter d’histoires.

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