À celles et ceux qui ont fait et font vivre le Concorde, le Familial, le Rex, Alpha 3, L’Image, les festivals. À celles et ceux de la SODECSO, la SOREDIC, la Scène nationale (notamment Daniel Ramponi), la Ville et l’EPCCCY. Aux associations (Festi’Clap, Off Screen, Argone…). À Bernard et Clotilde Barto, à René Naulleau.
À celles et ceux de l’ombre comme de la lumière.
Texte prononcé publiquement le 14 janvier 2024 au cinéma Concorde de La Roche-sur-Yon, avant déménagement.
Je ne sais où se sont brisés les fils qui me rattachent à mon enfance. Comme tout le monde, ou presque, j’ai eu un père et une mère, un pot, un lit-cage, un hochet, et plus tard une bicyclette que, paraît-il, je n’enfourchais jamais sans pousser des hurlements de terreur à la seule idée qu’on allait vouloir relever ou même enlever les deux petites roues adjacentes qui m’assuraient ma stabilité. Comme tout le monde, j’ai tout oublié de mes premières années d’existence.
Mon enfance fait partie de ces choses dont je sais que je ne sais pas grand-chose. Elle est derrière moi, pourtant, elle est le sol sur lequel j’ai grandi, elle m’a appartenu, quelle que soit ma ténacité à affirmer qu’elle ne m’appartient plus.
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance
Je remercie Mathias, l’établissement public et le Concorde de leur invitation. Je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour les équipes présentes et passées, qui font vivre le cinéma en ces murs et dans d’autres très prochainement. Je pense aux femmes et aux hommes chargés de l’entretien, de l’accueil, de la projection, de la programmation, de l’administration, de la direction… Leur travail est à saluer.
Je pense au chien de Rosella dans le hall d’accueil, à mes grands-parents qui ont probablement vu leur premier film en amoureux ici et au cinéphile averti qui, se trompant de cinéma le 30 juin 1998 à 22h30, a vu en ces murs Le Dîner de cons en lieu et place de Alien la résurrection aux 3 Alphas.
Vous me permettrez d’avoir également un sentiment pour Bernard Barto avec qui j’ai eu plaisir à échanger des années durant. J’ai appris son décès par un message ouvert ici-même en mars dernier. Le rôle de Bernard et Clotilde Barto dans l’architecture de la région est majeur, pour ne pas dire fondateur à certains égards.
Il y a sans doute autant de Concorde que de personnes pour en parler. En premier lieu l’histoire qui peut être vue comme un enchevêtrement de dates.
Par exemple :
- 5 septembre 1532 : une vache sort de son pré situé ici et s’égare sur le chemin de La Roche à Mouilleron ;
- 16 août 1754 : rien à signaler ;
- 25 mai 1804 : un homme célèbre, bien davantage bicorne que popcorn, signe le décret de fondation de la ville sur la recommandation d’un certain Gouvion. La rue est tracée, sur le papier ;
- 20 avril 1897 : Charles Moisson, ingénieur pour les frères Lumière, est à La Roche-sur-Yon. Doté d’un cinématographe à manivelle, il est le premier à filmer les mouvements d’un président de la République et de sa délégation ;
- 2 juillet 1899 : le cinématographe fait sensation à La Roche parmi les attractions foraines de la fête des courses ;
- 11 mai 1913 : Séance de cinéma au Skating Palace rue de Bordeaux. Les ingénieurs de Pathé viennent d’installer une salle fixe pour la première fois à La Roche-sur-Yon ;
- 18 octobre 1913, extrait du journal Le Messager de la Vendée :
« Le théâtre cinéma Pathé, dirigé par M. R. Hautières, vient de s’installer 8, rue Gouvion, à La Roche-sur-Yon. Ce soir, samedi 18 et demain, dimanche 19 octobre, à 8 h. 1/2 :
La grande pièce à succès du Gymnase : Le Secret de Polichinelle, d’après la célèbre comédie de Pierre Wolff, interprétée par MM. Numès : Jouvenel; Maupré : Henri ; Mlle Andral : Mlle Jouvenel; Mlle Lyrisse : Marie; M. Collen : le vieil ami.
En supplément aux deux éditions de Pathé Journal :
L’Aviateur Pégoud qui, de retour de Londres, émerveille la foule par ses exploits d’une folle témérité.
Un beau drame en couleurs : Fierté Indienne, et trois films ultra comiques, interprétés par : Bébé, le plus jeune comique du monde ; Max Linder et Prince, les rois du rire ; l’inimitable Fragson, et Mlle Renouard, du Vaudeville.
Salle moderne, orchestre, bruits de scène, buffet, bar, etc.
Nous ne doutons pas que ce programme de choix n’obtienne le succès qu’il mérite. »
Ainsi débutèrent 110 ans de cinéma rue Gouvion !
C’est l’histoire d’un cinéma dans la ville et de la ville en regard du cinéma. Le cinéma par rapport à la ville et à ses habitants, les bouleversant parfois, à leur rythme dans d’autres cas.
Une salle paroissiale où il fait bon sortir en cette saison 1913·1914 ; souvent une séance le samedi soir et deux le dimanche. Lorsque Fantomas de Louis Feuillade est projeté, les jeunes élèves du conservatoire accompagnent les images. Dans d’autres cas, des musiciens venus par le train remplissent cette délicate mission.
Une salle paroissiale en regard des patronages laïques, portrait d’une société en plusieurs polarités où chacun cherche sa place, mais il semble que la dualité s’estompe le temps de quelques séances. Et lorsque le tocsin de 1914 se superpose aux affiches ordonnant la mobilisation, c’est une part du quotidien qui se fige. Les salles de loisirs et de projection ferment, femmes et hommes s’apprêtent à vivre au rythme implacable de la guerre.
Sitôt né, le cinéma se fait reflet de la ville et de ses temporalités.
Nécessité d’alléger le poids des jours à l’arrière et souhait de diffuser les images officielles, le cinématographe s’installe au Théâtre de La Roche-sur-Yon le 20 novembre 1915. Une semaine passe et la salle Gouvion rouvre ses portes après quelques travaux de rafraîchissement.
C’est le premier temps : le temps des lieux qui changent
Après la guerre, le cinéma fait davantage partie du quotidien.
La société est en mutation, en Vendée le milieu paysan s’urbanise un peu plus. Le monde change, les manières de vivre avec lui. Les exploitants le savent et l’austère salle paroissiale de la rue Gouvion est rasée au profit d’un établissement de grande capacité.
À peine quelques mois auront suffi pour dresser la charpente métallique et inaugurer le Familial. Le 10 octobre 1936 on se presse à l’inauguration pour les actualités et Don Quichotte.
Modernisé, le cinéma est parlant, en 35 mm et sans ruptures entre chaque bobine. Les projections se succèdent alors même que l’activité théâtrale de la paroisse y subsiste. Deux ans plus tard, le 15 décembre 1938 le Rex ouvre ses portes rue du Maréchal-Foch. Il demeurera en tant que cinéma jusqu’en 1982. La paroisse et son « cinéma des familles », comme il est appelé parfois, d’un côté, le Rex et le Théâtre de l’autre. En 1939 la couleur fait son apparition à l’écran. Puis la guerre, encore, et le renouveau des années 50.
C’est aux architectes Jean-Baptiste Durand et Michel François que l’on doit la modernisation du Familial. Une nouvelle façade en béton, plaquée le long de la rue façon saloon, les arêtes vives et les ouvertures en rythme. Avant chaque séance, la même sonnerie au ton aigrelet et la 2CV arrivant rue Racine avec les gosses à l’arrière.
1972 c’est le temps du changement, demeureront les esprits nimbés de nostalgie. La SODECSO (Société de diffusion et d’exploitation cinématographique du sud-ouest) achète le cinéma vieillissant. Exit les strapontins et les grinçants sièges en bois du balcon, la salle est rénovée dans l’air du temps, première étape d’un processus au long cours. Plus de trois-cent fauteuils Pullman sont rivés au sol. Icône d’une industrie à la pointe, le Concorde peut décoller le 17 décembre.
En 1973 Jean Lefebvre est balayeur de rue à La Roche-sur-Yon dans Mais où est donc passée la septième compagnie. Enfant, j’ai longtemps cru que la ville tenait une notoriété nationale de cet état de service quelque peu improbable. On est loin de Jacques Demy qui, bien avant, hésitait entre Rochefort, Hyères, Saumur et le chef-lieu vendéen pour ses célèbres Demoiselles. Une histoire de perspective visuelle, d’ouverture sur la mer et… de difficulté à faire repeindre les volets.
En 1976 tout semble changer, tout peut changer. Le peintre Georges Mathieu a déjà livré son improbable usine en forme d’étoile à Fontenay-le-Comte, d’une ligne franche et dure la tour Bretagne découpe le ciel de Nantes, à La Roche on a imaginé une serre immense, une butte de 30 mètres de hauteur ou encore des barres d’immeubles sur la place Napoléon.
Dans les salles obscures on se passionne pour Taxi Driver, L’Aile ou la cuisse ou King Kong. Au Hit-Parade Sylvie Vartan fait pleurer les blondes et Michel Sardou dit à quelqu’un qu’il va l’aimer. Soyouz 23 est lancé à Baïkonour, au numéro 8 de la rue Gouvion un curieux vaisseau sort de terre. L’immuable cinéma s’agrandit par le sud.
Alors qu’il bouleverse le front de mer de Saint-Jean-de-Monts d’une vague moderniste, René Naulleau est appelé à donner son visage au Concorde.
Deux nouvelles salles, un hall moderne, tout le confort et toutes les commodités. Mais dans la ville au plan rigide il faut se démarquer sans écraser, donner de l’éclat sans occulter l’existant, bousculer sans faire de vagues, éveiller les esprits en respectant les lieux.
Un plasticien apporte la plus éclatante des réponses : Bernard Barto qui a déjà mis en couleur les usines Esswein et Big-Chief pour l’agence Durand-Ménard. C’est là le tour de force de René Naulleau, faire appel aux artistes et jouer la complémentarité.
Barto échafaude plusieurs projets, porte sur le papier les esquisses les plus vives, matérialise les flux et offre au Concorde un corset de béton reliant le vieux cinéma aux deux nouvelles salles. Une architecture légère. Déposée sur la ville, comme l’écheveau que l’on place délicatement dans un compartiment du tiroir.
C’est parce qu’il a conscience que le plan de la ville offre le même espace aux bâtiments et à la lumière du ciel que le plasticien souhaite que la façade s’émousse selon les faîtages voisins et suive les lignes de fuite.
À l’extérieur, le blanc immaculé est enrubanné de 140 mètres de néons d’un bleu ciselant l’architecture. Fabriqués dans la région, les mêmes néons accompagnent les spectateurs vers les salles et font flotter le guichet dans le hall. Sur les façades on peut lire « Concorde » dans un lettrage évoquant les calculateurs électroniques. Côté ouest on imagine projeter les bandes annonces sur le grand mur laissé vide.
En procédant de la sorte, Naulleau et l’agence Barto n’ont pas construit un cinéma, mais une identité, un signal implacable, un bâtiment comme une vigie furtive dans la trame urbaine. La Roche-sur-Yon a son Cinéma Paradiso, diront certains bien plus tard. Une architecture hors du temps, un repère presque cosmique.
Le nouveau Concorde est né, trois salles le 27 novembre 1976 et un label « art et essai » attribué par le CNC.
Un mois auparavant l’Alpha 3 ouvrait ses portes rue Boileau, il y demeurera jusqu’en 2005, les derniers temps sous le nom « L’Image ». Pour certains c’est l’histoire des projections tard le soir et dont on peut avoir honte, pour d’autres c’est le souvenir des premières découvertes un dimanche matin.
En 1982, une quatrième salle est creusée. Rue Racine l’enseigne « 4 cinémas » étincelle dans la nuit. Le Concorde a trouvé sa vitesse de croisière, on y dérushe même les images de films tournés dans la région. En 1986, la société rennaise SOREDIC le rachète puis, en 2002 c’est au tour de la Ville de se porter acquéreuse.
Et lorsque se pose la question d’une gestion différente, un incendie survient, en 2004.
Les difficultés ne sont alors pas nouvelles et l’engagement de femmes et hommes, anonymes pour la plupart, a donné corps à la création d’un établissement public ainsi qu’à la renaissance du lieu.
On enlève le chiffre « 4 » et la lettre « s » à l’enseigne, les désormais deux salles de la rue Gouvion reprennent vie en 2008. Yannick Reix est à leur tête, Bernadette Lafont en sera la marraine pour le premier anniversaire de la réouverture.
Deuxième temps : les histoires que l’on se raconte
– 8 juin 1940, la chaleur est écrasante sur la ville. Le soir, on sort les tables dans la rue, on espère la fraîcheur et l’on guette les inévitables conséquences de la guerre en cours. Soyons clair, le 8 juin 1940 on s’ennuie ferme à La Roche-sur-Yon. On sait que l’armée adverse va arriver, mais on ignore quand. Alors on attend, on trouve un ennemi dans le moindre voisin de table au restaurant puis on se ravise. On attend et on disserte.
Raymond Queneau, lui aussi, attend. Depuis deux ans il traduit et lit pour Gallimard, il a déjà quitté les Surréalistes et n’a pas encore publié Exercices de style ou Zazie dans le métro. Le 8 juin 1940 voilà quelques semaines qu’il séjourne à La Roche-sur-Yon à manier les armes à la caserne, craindre un bombardement, écrire son journal ou des lettres à Jean Paulhan de la Nouvelle Revue française. Parce qu’il attend, et s’ennuie probablement tout aussi ferme que l’on peut s’ennuyer fermement un 8 juin 1940 à La Roche-sur-Yon, il se rend le soir au Familial :
« Cinéma : Thérèse Martin est sainte Thérèse de Lisieux.
J’ai trouvé le film idiot. On dirait que le plus grand miracle de cette sainte est d’avoir rabiboché un mariage défaillant. C’est en effet un grand miracle. »
– Un jour de février en 2012, un garçon aime un garçon, mais il ne sait pas si l’autre garçon l’aime aussi. Le second, celui dont le premier ne sait pas…, propose une sortie au Concorde : « Il y a La Dame de fer ce soir. Tu viens ? »
Évidemment ! Le premier ne bronche pas et est enthousiaste à l’idée de partager un moment face à Margaret Thatcher.
Et alors que Meryl Streep clame « No! No! No! », le premier s’enfonce dans son siège en similicuir orangé sans parvenir à penser autre chose que « Prends-moi la main ! Prends-moi la main ! Prends-moi la main ! ».
– 29 septembre 1970, Presse Océan se passionne en pages régionales pour un gendarme de Palluau dont la tortue doit pondre un œuf. À 21h au Rex on projette MASH de Robert Altman. L’an passé Frida Boccara a gagné le concours de l’Eurovision pour la France ; elle n’a pas encore sorti L’année où Picoli, mais Les Choses de la vie bouleversent déjà le paysage.
À un tournant de son existence une femme prend place sur l’un des fauteuils du Familial.
♪ Ce soir nous sommes septembre
Et j’ai fermé ma chambre
Le soleil n’y entrera plus
Tu ne m’aimes plus
Là-haut un oiseau passe
Comme une dédicace
Dans le ciel… ♪
Si Claude Sautet l’avait souhaité cette femme entendrait Romy Schneider chanter la Chanson d’Hélène. Elle est convaincue, des années après, qu’elle l’a entendue, ici.
En 2017, alors que je viens de me faire larguer et que je pleure en l’écoutant, je suis persuadé, aussi, que cette chanson était dans le film, persuadé jusqu’à écrire cette conférence. Comme si le cinéma était avant tout une affaire de prolongement dans le réel, de développements hors de l’écran.
Troisième temps : faire vivre les films
Pourquoi pas un festival ?
L’idée germe au seuil de 1975 et, le 14 avril, Phantom of the Paradise de Brian de Palma ouvre les premières journées cinématographiques de La Roche-sur-Yon organisées par le Concorde et l’Association française des cinémas d’art et essai. La Planète des singes, La Planète sauvage, Soleil vert… huit films de science-fiction et dix-neuf heures de projection dans la salle, encore unique, de la rue Gouvion.
La troisième édition, celle du printemps 1977, occupe une place toute particulière. Dans le cinéma flambant neuf on accueille les acteurs de l’art et essai de toute la région, mais aussi les représentants nationaux du secteur. Comédies policières et dramatiques d’Alain Tanner, Hal Ashby ou Alain Resnais… 102 projections sont programmées sur quelques jours dont l’une des premières en province de Quand la Panthère rose s’emmêle.
Pourquoi pas un festival ?
L’idée revient quand est questionnée la place du cinéma dans la ville. Associations, exploitants de salles, Ville, Scène nationale et beaucoup d’anonymes, portent En route vers le monde.
La première édition a lieu du 8 au 13 octobre 2002 sous le parrainage de Bernard Giraudeau. Dominique Bonnement en est la déléguée générale, Philippe Lemoine le directeur artistique. Chaque automne désormais la ville s’apprête, cherche à égayer son image pour accueillir festivaliers, réalisatrices, acteurs…
Si la couleur de l’affiche est rose, les rues seront roses, si la couleur de l’affiche est bleue on mettra du colorant dans les fontaines et l’on accrochera des mobiles de plastique translucide sous les globes des lampadaires à sodium.
Et dans la mémoire d’un enfant grandissant en campagne, En route vers le monde compte parmi les premières marques à l’esprit des sorties hors du village. Jour de fête de Jacques Tati au parterre du Théâtre à l’italienne, La Petite Vendeuse de soleil de Djibril Diop Mambety assis sur un siège bien trop grand quand on mesure 1,29 m et qu’on ne sait pas se tenir.
Enfin, la possible chute du cinéma en ville, la disparition éventuelle, le festival demeurant malgré tout, celles et ceux qui ont fait perdurer l’aventure, les mêmes et les autres qui ont porté le Concorde, certains qui ont cru qu’il fallait passer à autre chose.
Puis l’établissement public, les associations et collectifs, le Festival international du film depuis 2010 :
Yannick Reix, Emmanuel Burdeau, Paolo Moretti, Charlotte Serrand. Jean-Pierre Léaud en quatre par trois sur le mur du conservatoire, la Nuit de l’Apocalypse ou la Nuit Michel Hazanavicius, la suite de tout cela qui se dessine encore aujourd’hui.
Car l’histoire du Concorde est presque organique, elle fait corps avec le territoire dans tout ce qu’il présente, dans tout ce que chacun est amené à vivre, à juger ou à ignorer. Un rhizome d’adversité, de solidarité, de modernité, de nostalgie, de rejet, de besoin d’animer la ville, d’envie de partager quelque chose, de volonté de suivre la mode ou de s’en affranchir, d’ouverture ou bien de cloisonnement dans son intimité.
Un tel lieu c’est tout cela, pas moins pas plus. Pas de blé sans paille, pas de beauté sans qu’il ait quelconque défaillance.
Un extraordinaire attrait dans le fait que rien n’est acquis et que tout reste à bâtir, encore, inlassablement, tant que l’on peut se raconter des histoires. Demeurent le magnétisme du bâtiment dans la ville, le souvenir de Monica Vitti crevant l’écran, l’improbable découverte de Mars Attacks! en 1997.
Un ensemble de ramifications dans lesquelles chacun puise. Avec effusion ou en restant dans les marges, cela importe peu. Il y a ce qui est palpable et ce qui ne se dit pas, les larmes coulant sans discontinuer, les films que l’on oublie, le retour à reculons, ce qui nous remue ou nous indiffère, nos fluides réagissant.
Tout ce qui n’a pas besoin d’explications.
– 8 juin 1940 : le passage de Raymond Queneau à La Roche-sur-Yon se greffe à une période de sa vie empreinte de doutes sur la suite.
– Un jour de février en 2012 : j’ai dix-neuf ans, depuis je n’ai pas conclu avec le garçon qui m’a proposé de voir La Dame de fer.
– 29 septembre 1970 : Romy Schneider n’a pas chanté la Chanson d’Hélène dans le film. Mais une, et d’autres, s’en souviennent. Qu’importe donc si la mémoire était falsifiée.
Ici le sujet n’est pas qu’une question de dates, de murs et de projecteurs. Il s’agit en premier lieu de l’empreinte de ce que l’on y vit sur notre condition et notre regard.
Alors 110 ans rue Gouvion, et autant rue Foch, c’est une histoire de cinéma dans la ville, de cinéma dans la vie, mais avant tout une question de sentiments. De sentiments et de l’espace qui nous est donné pour les éprouver.
Lire aussi : Barto et les amers de la ville, Art dans l’espace public à La Roche-sur-Yon, version 2 du plan-guide !, 1965-1985, RÉFLEXIONS AUTOUR DE L’IDENTITÉ ARCHITECTURALE DE LA ROCHE-SUR-YON
Une réponse sur « 110 ans de cinéma rue Gouvion »
[…] un moment comme une conférence dans un vieux cinéma, un moment où je parle seul face à tout le monde, un moment où je décide de faire un truc que […]