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Maurice Durand, la Vendée et La Roche-sur-Yon

Maurice Durand architecte départemental

À compter du décret impérial du 9 avril 1811, par lequel l’État concède aux communes et départements les bâtiments occupés par des services publics, les institutions territoriales ont un rôle majeur dans la définition des programmes architecturaux et l’entretien des édifices. Bien que le Conseil des Bâtiments civils garde un rôle d’instructeur des dossiers architecturaux des collectivités, notamment en vue de l’obtention de financements nationaux, les projets dépendent de plus en plus des acteurs locaux. En 1821 et 1822, deux ordonnances royales encouragent la mise en place de commissions départementales des bâtiments civils. Cette forme de décentralisation administrative fait émerger la figure de l’architecte départemental. Limitées dans un premier temps aux chantiers dont le montant n’excède pas 20 000 francs, les attributions de l’architecte départemental évoluent et grandissent tout au long du XIXe siècle.[1] En Vendée, mais également dans d’autres territoires, l’architecture publique reste longtemps influencée par la présence ou l’héritage du corps des Ponts et chaussées. Et ce, en raison des chantiers lancés sous l’Empire dans tout le département. Progressivement à partir des années 1820 l’architecte départemental parvient à façonner le paysage architectural régional en définissant la construction et la transformation des écoles, mairies, églises, infrastructures portuaires, etc.

L’hôtel des Postes par Auguste Boudaud et Maurice Durand, façades ouest et nord abaissées à la suite d’une modification demandée par l’administration des PTT (vers 1927). Archives municipales de La Roche-sur-Yon, 8 M 3.

Architecte départemental depuis 1878, Georges Loquet émet le souhait de prendre sa retraite en 1921. Pour le remplacer, le conseil général de la Vendée décide, en septembre 1921, de nommer un architecte par arrondissement. Ainsi Abel Filuzeau est rattaché à Fontenay-le-Comte, Auguste Boudaud à La Roche-sur-Yon, Maurice Durand aux Sables-d’Olonne. Le décès d’Abel Filuzeau en 1930 conduit le Département à confier l’intérim de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte à Maurice Durand. Peu de temps après, Auguste Boudaud demande à être relevé de ses fonctions en raison de son âge. C’est ainsi que Maurice Durand occupe seul la fonction d’architecte départemental de la Vendée à compter du printemps 1931. À cette fonction, l’architecte sablais laisse une empreinte forte sur le territoire. Aussi travaille-t-il sur différents établissements de santé, notamment les hôpitaux de Montaigu, des Sables-d’Olonne et de la Grimaudière (La Roche-sur-Yon), mais également l’imposant préventorium départemental de Longeville-sur-Mer. C’est d’ailleurs ce bâtiment des années 1930 qui sera salué par les représentants du Département lorsque Maurice Durand sera promu officier dans l’ordre de la Légion d’honneur en 1950. Partout en Vendée, l’architecte construit des écoles, des bains-douches, des salles des fêtes, des casernes et des bâtiments administratifs.

Outre les constructions et les agrandissements, l’architecte départemental assure le suivi de l’état mobilier et immobilier des édifices publics. C’est investi de cette mission que Maurice Durand a la tâche importante de dresser un panorama des constructions vendéennes au sortir de la Seconde Guerre mondiale et des années d’occupation. Livré le 14 septembre 1945[2] ce rapport définit les besoins techniques et financiers pour la réparation de différents bâtiments publics. Un tel travail préfigure la reconstruction mais également certains grands chantiers départementaux qui seront menés lors des Trente glorieuses.

Ainsi que le permet sa fonction publique, Maurice Durand poursuit son activité à titre privé en parallèle. De ce fait il est un artisan majeur de la construction en Vendée pendant près de soixante ans.

Maurice Durand parmi les modernisateurs de La Roche-sur-Yon 

Ville nouvelle dont les caractéristiques urbaines et architecturales ont été définies par le corps des Ponts et chaussées à l’aube du XIXe siècle, La Roche-sur-Yon approche des 15 000 habitants lorsque survient la Première Guerre mondiale. La ville est alors un centre commercial, industriel, militaire et ferroviaire qui a trouvé sa place en Vendée. En plein développement le chef-lieu du département voit ses institutions publiques bien souvent engoncées dans des bâtiments hérités de l’Empire et dont la configuration ne répond pas aux besoins qui évoluent. Entre autres acteurs architecturaux, Maurice Durand affirme son style dans l’architecture publique et privée de La Roche-sur-Yon, s’adaptant à la nécessité autant qu’à un certain désir d’éclectisme.

L’hôtel particulier du 118, boulevard Aristide-Briand (1913).

Un architecte départemental dans la suite des chantiers municipaux

Lorsque La Roche-sur-Yon est fondée en 1804 les ingénieurs d’État ont pour mission de concevoir une ville institutionnelle, commerciale et éducative à l’emplacement d’un petit mais glorieux village d’Ancien Régime. Pendant près de 40 ans, les orientations architecturales voulues pour La Roche-sur-Yon sont principalement celles des ingénieurs. Les architectes n’ont alors que peu ou pas de place, malgré le rôle pris par l’institution départementale à partir du début des années 1820. Dans les années 1840, deux figures intègrent de façon réellement visible le processus de développement de la cité : l’architecte-voyer et l’architecte départemental. À échelle communale, le premier intervient sur la voirie et les bâtiments publics. Au niveau du département, ou d’un périmètre défini à l’intérieur, le second est un acteur incontournable de l’aménagement du territoire. Une fois sortie de la première phase de sa construction, la ville de La Roche-sur-Yon se dote de nouvelles institutions. Deux architectes émergent, Urbain Pivard pour la commune, Joseph Malet pour le département. Pivard établit les plans du théâtre municipal, Malet s’attache à la construction du dépôt d’étalons et de l’asile de la Grimaudière. Ces constructions réalisées avant 1850 peuvent être considérées comme les premiers témoignages monumentaux laissés par des architectes dans le chef-lieu de la Vendée. À la suite de cette période d’autres acteurs se succéderont et donneront à la ville son visage éclectique.

Le théâtre réalisé par l’architecte Urbain Pivard en 1845.

Figure de proue des architectes-voyers yonnais, Auguste Boudaud (1848-1938) occupe sa fonction municipale pendant près de 45 ans et construit différentes écoles communales, le musée, un gymnase, le kiosque à musique, etc. Démissionnaire, car souhaitant prendre sa retraite en 1920, il est appelé à occuper la fonction d’architecte départemental sur l’arrondissement de La Roche-sur-Yon à compter de 1921. De ce fait, la maîtrise de différents chantiers lui est confiée. Bien qu’il signe de nombreux rapports et projets, Auguste Boudaud fait intervenir Maurice Durand sur les programmes les plus importants que sont l’hôtel des postes, la chambre de commerce ou encore l’hôpital départemental. La signature est partagée par les deux architectes mais la marque stylistique de Maurice Durand est saillante. Certainement en raison de son âge, Auguste Boudaud délègue une part majeure de la conception des programmes au jeune architecte sablais. Plus tard, c’est comme architecte pour l’ensemble du département que Maurice Durand conçoit le dépôt des archives départementales rue Jean-Jaurès.[3] À cela s’ajoutent quelques commandes privées dont un hôtel particulier boulevard Aristide-Briand et un immeuble rue Georges-Clemenceau.

L’immeuble du 17, rue Georges-Clemenceau.

Une nécessité d’adapter des bâtiments publics

À l’issue de la Première Guerre mondiale, la modernisation d’un certain nombre de bâtiments publics devient urgente. Implanté rue Paul-Baudry depuis les années 1880 l’hôtel des postes est dans un tel état sanitaire que la presse régionale se fait l’écho de sept décès de la tuberculose parmi le personnel lors des premières années du XXe siècle. À cela s’ajoutent l’exiguïté des locaux ou encore les difficultés d’accès. Consciente de la situation, la municipalité engage des démarches auprès des services des Postes et télégraphes. Par décision ministérielle du 1er août 1913, Auguste Boudaud est désigné pour élaborer le projet architectural. La guerre repousse toute idée de construction d’un nouvel hôtel des postes mais dès 1919 les démarches sont relancées. Pour autant, des difficultés au sein du conseil municipal et avec le ministère conduisent à revoir plusieurs fois le projet, son financement (auquel la municipalité contribue) et son emplacement[4]. Le démarrage des travaux est formellement engagé à la fin de l’année 1926 d’après les plans d’Auguste Boudaud et Maurice Durand, les services postaux emménagent courant septembre 1929. Seule entorse au projet architectural, le deuxième étage de l’aile donnant sur la rue Jean-Jaurès n’est pas réalisé dans un premier temps en raison d’un décret de 1927 portant sur la réorganisation des services postaux.

Dans le même temps Auguste Boudaud et Maurice Durand signent l’extension de l’hôpital départemental sur une vaste parcelle attenant au boulevard d’Angleterre. Un tel chantier doit faire entrer la pratique hospitalière du territoire dans une ère nouvelle. Plusieurs fois envisagée, la transformation radicale du vieil hôpital napoléonien n’aboutit pas. Des agrandissements sont réalisés (notamment par Georges Loquet dans les dernières années du XIXe siècle), des aménagements effectués, mais cela s’avère insuffisant. En 1907 Georges Loquet dresse les plans d’une maison de santé pour incurables sur la parcelle où sera bâtie plus tard l’extension de Boudaud et Durand. Le projet reste sans suites et jusqu’à sa démission donnée en avril 1921, Georges Loquet s’échine à proposer des solutions techniques, notamment en raison de l’émergence de la chirurgie moderne après la guerre. L’arrivée des nouveaux architectes départementaux coïncide avec une relance du projet hospitalier. Après avis médicaux et rapports d’architectes la construction d’un agrandissement majeur sur la prairie au nord du boulevard d’Angleterre est décidée, non sans difficultés pour convaincre l’administration départementale. Le nouvel hôpital est livré à partir de 1929, à commencer par un pavillon de chirurgie comportant des salles d’opération septiques et aseptiques dans le bâtiment central et deux ailes latérales, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. À cela s’ajoute le pavillon des cuisines et, construite quelques années plus tard, une maternité.

Confiée entièrement à Maurice Durand, la conception architecturale du dépôt des archives départementales répond à un besoin criant de mise aux normes et de sécurisation. En juillet 1931, l’inspecteur général des archives Charles Schmidt dresse le constat d’une extrême humidité dans certaines salles, de l’exiguïté des locaux, de l’accumulation de papiers non triés dans les greniers, etc. Situés dans une aile de la préfecture, les locaux des archives départementales ne sont plus adaptés. Charles Schmidt et l’archiviste départemental Pascal Lanco soutiennent la construction d’un bâtiment rue Jean-Jaurès, sur un terrain prolongeant une annexe de la préfecture. Archiviste de la Vendée à partir de 1934, Louis Monnier porte de nouveau le sujet auprès du préfet et de l’assemblée départementale. La construction d’un nouveau dépôt est enfin actée en 1936. Maurice Durand propose plusieurs projets en un seul, notamment un bâtiment neuf rue Jean-Jaurès et une réutilisation de l’annexe de la préfecture pour y établir les services administratifs des archives. Après différentes modifications, dont un abaissement de la hauteur pour réduire le coût, le nouveau bâtiment des archives est livré en 1938. L’annexe de la préfecture ne sera réhabilitée qu’après la Seconde Guerre mondiale.

Un registre architectural audacieux et sobre

Tout à fait identifiables dans le paysage urbain, les interventions de Maurice Durand à La Roche-sur-Yon se placent dans un goût éclectique et Art déco. Pour l’agrandissement de la chambre de commerce livré en 1929, Auguste Boudaud et Maurice Durand reproduisent l’architecture à bossages du bâtiment primitif (dessiné par Boudaud vers 1890) en y intégrant cependant un fronton monumental figurant le dieu Mercure. Riche par ses ornements, la chambre de commerce de 1929 est dotée d’une salle des fêtes décorée par Louis Dupré dans un goût néo-Renaissance. Par son style, la tranche de travaux menée par Boudaud et Durand s’inscrit dans l’architecture du siècle passé et des années 1900. Intervenant en 1913 à l’actuel n° 118 du boulevard Aristide-Briand, Maurice Durand est dans une démarche différente puisqu’il travaille sur la volumétrie d’ensemble et pas seulement sur les ornements. Ainsi fait-il construire, de part et d’autre de la travée centrale, deux oriels dans une pierre calcaire lisse. Encadrée par ces structures en saillie, la porte de l’hôtel particulier est parée de sculptures végétales plus ordinaires. Outre les oriels qui dégagent de généreuses ouvertures, la corniche horizontale est rythmée par une frise de glyphes et des garde-corps résolument modernes. Les balustrades et garde-corps des niveaux inférieurs sont davantage dans un esprit éclectique.

Parmi les bâtiments emblématiques de La Roche-sur-Yon, l’hôtel des postes est le témoignage architectural de Maurice Durand le plus visible. Tirant parti de la trame orthogonale de la ville, le projet se révèle dans deux perspectives urbaines : celle de la préfecture au théâtre et celle allant de la place de la Vendée à la place Napoléon. Sans sortir de sa parcelle géométrique, l’édifice est rendu présent grâce à un angle sud-ouest brisé par un arrondi, l’un des seuls dans la ville. C’est à partir de cette travée arrondie que s’exprime tout le langage architectural de l’hôtel des postes. Aménagée dans l’angle, l’entrée principale est dominée par des mosaïques orangées rehaussées de chutes de motifs bleutés. Agrémentées de caissons, de divers bas-reliefs et de frontons ouvragés dans le calcaire, les façades sont percées de vastes baies accentuant l’effet de perspective. Disparues, deux petites coupoles de béton couronnaient l’angle d’entrée. À quelques mètres de là, l’immeuble particulier du 17 rue Georges-Clemenceau est livré en 1931. Sur trois étages, il déploie un vocabulaire Art déco dont témoignent les lignes verticales du béton, les redents du couronnement de façade ou encore des balustres à fûts tubulaires. Ce traitement du béton est à mettre en rapport avec les interventions d’autres architectes tels Émile Gobaut pour l’institution Saint-Joseph ou Antoine Natalis Mazen avec ses immeubles du boulevard Aristide-Briand et la cité-jardin de la rue du Roc.

Vue actuelle des archives départementales depuis la rue Jean-Jaurès. Le bâtiment est conforme au projet, rectifié notamment par l’abaissement de la hauteur, de Maurice Durand et livré en 1938. Tout à fait à gauche, une extension des années 1970 reprenant la même hauteur.

Il est également question de l’usage du béton pour le nouveau dépôt des archives. Conformément au souhait de l’assemblée départementale, l’aspect du bâti donnant sur la place de la Préfecture n’est pas modifié. C’est rue Jean-Jaurès que Maurice Durand a pour mission de déployer son projet architectural. Un léger retrait par rapport à l’alignement des façades voisines crée un aspect monumental et ménage une cour anglaise permettant d’éclairer le niveau inférieur. Ce retrait était d’autant plus important que les premiers projets prévoyaient un niveau de façade en plus ainsi qu’un double niveau sous toiture. Pour des questions notamment économiques le projet a été revu à la baisse. Cela offre aujourd’hui un bâtiment qui répond, par sa hauteur de corniche, à ses voisins du XIXe siècle. D’une grande sobriété, la façade dessinée par Maurice Durand est rythmée par de vastes ouvertures verticales placées à intervalles réguliers. Plus au nord de la ville, l’agrandissement, aujourd’hui détruit, de l’hôpital départemental est une construction dans laquelle les architectes tentent de tirer parti de la diversité des matériaux employés. Si le béton est dominant, l’usage de la brique et de la pierre est à relever. D’une longueur d’environ 150 mètres, le bâtiment principal reprend les codes de l’architecture fonctionnelle héritée du néoclassicisme. Un corps central se distingue légèrement et deux longues ailes en partent. À chacune des deux extrémités une rotonde faisant office de porche et de balcon se détache. Au centre de chaque aile est construit un pavillon perpendiculaire à toiture en demi-croupe. Le bâti est également rythmé par des travées de fenêtres dont les allèges sont légèrement décorées. Très sobre, le pavillon des cuisines situé au fond de la parcelle est seulement couronné d’une grande cheminée possédant quelques éléments de mouluration. Face à cette architecture qu’ils jugent monotone Maurice Durand et Auguste Boudaud défendent une intervention du sculpteur Maurice Legendre. Ainsi, l’entrée du pavillon de chirurgie est dotée de sculptures figurant la science et l’humanité en souffrance, le tout couronné de lauriers glorieux. Un modeste apport esthétique dans un programme public soumis à des impératifs économiques.

Carte postale du pavillon de chirurgie éditée par Raymond Bergevin, dit Ramuntcho (DR). Lieu de conservation : Archives départementales de la Vendée, 20 Fi 191-13.

            Qu’il intervienne seul ou avec Auguste Boudaud, Maurice Durand laisse à La Roche-sur-Yon un témoignage de ses talents d’architecte et de la diversité esthétique dont il est un artisan. S’il ne bouleverse pas la physionomie de la ville, Maurice Durand s’adapte aux contraintes de son plan ainsi qu’aux limites financières des commanditaires. Efficace, l’architecture de Maurice Durand à La Roche-sur-Yon occupe une place non négligeable dans l’identité de la capitale vendéenne.

William Chevillon

Article publié initialement dans le numéro 257 (septembre 2021) de la revue d’histoire Olona.


[1] À ce sujet on pourra lire l’article : Langlet Anne, Lussien-Maisonneuve Marie-Josèphe. L’institution des architectes départementaux et municipaux et la concurrence des ingénieurs, en France, au XIXe siècle. In : Revue du Nord, tome 82, n°335-336, Avril-septembre 2000. pp. 487-500.

[2] Archives départementales de la Vendée 1 W 45.

[3] Pour une chronologie administrative du projet d’hôtel des postes, on se réfèrera aux dossiers traitant le sujet dans la série M des archives municipales de La Roche-sur-Yon. Les pièces relatives aux projets de l’hôpital départemental et du dépôt des archives départementales sont accessibles dans la sous-série 4 N des archives départementales de la Vendée.

[4] L’on envisage l’hôtel de l’Europe sur la place Napoléon, la manutention du boulevard Aristide-Briand ou encore la place Albert-Premier. Longtemps évoqué, le site de l’ancienne prison à l’arrière du tribunal est finalement retenu.

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