Texte prononcé publiquement le 4 juin 2023 à l’occasion de la présentation du livre Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, un monument dans son territoire.
« Je me suis souvenu d’un matin de printemps, pas tout à fait hier, la voiture de mon père avalait la plaine.
Je me suis souvenu d’un matin de printemps, pas tout à fait hier, le colza embaumait le vaste espace et mes narines avec. Un matin de printemps, la plaine, un ruban d’asphalte, une voiture et moi à l’arrière. Arrive le kilomètre trente-quatre, depuis Sainte-Hermine.
Là, au loin, à dix kilomètres vers la gauche, une pointe perçant l’horizon. Une inconnue dans le paysage, un signal, un possible.
Les rivages ont des amers comme points de repères pour la navigation, pinacle dressé sur la plaine, surgissant presque, la flèche de Notre-Dame est l’une des perspectives de mon enfance.
Plus encore, l’église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte surplombe le territoire autant qu’elle en est une synthèse de pierre. Lire ce monument c’est observer un millénaire de vie de la cité et de ses environs. Comme un échantillon archéologique en mutation constante, en elle se dévoile l’histoire architecturale, économique, religieuse, politique et artistique de la ville.
Au cœur de Fontenay, tout semble émaner de Notre-Dame ; du dessin des rues, cet enroulement si caractéristique, jusqu’à l’horizon sonore lorsque le beffroi sonne les heures et les quarts d’heure.
Pour qui chemine dans la ville et ses faubourgs aux ruelles encaissées, Notre-Dame se fait discrète mais elle est toujours là, gardienne des perspectives et repère captant chaque variation de la course du soleil. Et lorsque l’on arrive à ses pieds ou que l’on prend de la hauteur, c’est une masse d’ardoise et de calcaire qui se distingue soudainement. L’on comprend alors que, dans le plan urbain fait de pierre blonde et de trames horizontales, Notre-Dame se révèle être la silhouette de Fontenay-le-Comte.
Voilà ce qu’en disait Octave de Rochebrune, depuis les ruines du château, dans son Guide du touriste publié en 1889 :
« Du pied de cette haute tour on a une vue des plus pittoresques sur le clocher de Fontenay, nulle part cette belle flèche ne se présente mieux encadrée par des accessoires qui ajoutent encore à la beauté de son ensemble ; les contreforts de sa base, les longues et étroites fenêtres de son beffroi, la tourelle de l’escalier, les clochetons d’angle si bien composés et dont les arceaux-contreforts viennent buter la tour octogonale sur laquelle la flèche prend naissance, se présentent de là dans toute leur ravissante perfection ; située au nord, cette partie de l’édifice n’a pas reçu les pluies diluviennes de l’est et du midi, l’appareil est pur, les arêtes nettes et lisses sans le moindre jarret.
Vers huit heures du matin, dans les beaux jours d’été, baignés dans un flot de lumière vaporeuse, tous ses pinacles, ses dais, ses statues, ses galeries ajourées, les arêtes dentelées de ses clochetons et de ses galbes scintillent et prennent vie, c’est un véritable poème de pierre qui transporte et émeut l’artiste au plus haut degré. »
Ce même Octave de Rochebrune, graveur, propriétaire et transformateur du château de Terre-Neuve, restaurateur de la fontaine des Quatre-Tias – dont la mère a parrainé une cloche ici –, ce même Octave de Rochebrune fait partie des redécouvreurs de la crypte en 1846 avec Félix Boncenne et Jean-Firmin Lévêque.
Ce même Octave de Rochebrune contribue à restaurer le portail occidental de cette église, témoigne du monument et en diffuse l’image avec de multiples gravures, dessine des autels et la tribune de l’orgue, dans un registre néo-gothique qui reproduit et déploie les ornements flamboyants du XVe siècle.
Un parcours, un seul pour l’exemple, celui d’Octave de Rochebrune, permet de mesurer combien cette église peut être l’objet des attentions à chaque époque, selon des conceptions et des objectifs propres à chacun.
Il n’est évidemment pas seul, dans l’histoire récente il faut se rappeler de Louis Brochet, Pierre Pasquereau, Jim Dandurand qui ne manquait pas de mettre en exergue les valeurs de la ville, sœur Saint-Pierre, cette religieuse de l’Union-Chrétienne qui a contribué à animer un petit musée archéologique de plein air sur le versant nord, Jean Chevolleau et ses grands aplats de couleurs, l’abbé Pascal Rouzeau, à qui je dédie ce livre car, bien que peu connu, il a contribué à faire connaître Fontenay ainsi que ce monument, c’est lui qui m’a appris à regarder l’architecture.
Un parcours, un seul, celui d’Octave de Rochebrune, permet de mesurer le caractère essentiel du monument dans le paysage et dans la vie de la cité.
Tout au long du XIXe siècle, ce grand siècle de la prise de conscience patrimoniale, avec d’autres il s’attache à étudier, faire connaître, embellir et restaurer. Avec la vision de son époque, qui ne serait plus la même aujourd’hui comme celle d’aujourd’hui ne sera plus la même dans quelques décennies, mais avec une profonde sincérité et une conscience aiguë de la valeur des objets d’architecture.
Un acteur parmi d’autres pour un éveil des esprits.
Ça n’est pas un hasard si Notre-Dame est l’un des premiers monuments classés de la région en 1862. Au siècle de Prosper Mérimée Notre-Dame est de ces édifices qui s’affirment comme des emblèmes d’un territoire. À l’image de ce que sont châteaux, remparts, cathédrales, aux quatre coins du pays, j’affirme que Notre-Dame peut être considérée comme un laboratoire de la pensée patrimoniale et de ses applications.
Il est question d’essais, de tâtonnements, de choix décoratifs assumés, d’ajouts qui transcendent l’existant, regardez les vitraux, d’idées de défaire ce qui a été bâti, je pense au retable qui a failli connaître la destruction ou le transfert dans le bas-côté sud.
Reconstruite, parfois à la hâte et avec des moyens limités, à la suite des guerres de Religion, Notre-Dame se fait symbole de force ; trop triomphale diront certains, on le voit avec la chaire, l’un des plus beaux objets mobiliers poitevins de la fin du XVIIIe siècle.
Notre-Dame se fait aussi marqueur de fragilité quand on sait que l’achèvement des voûtes de la nef et du chœur n’a été réalisé que très tardivement au siècle dernier. Le monument que nous avons aujourd’hui c’est tout cela. Les ambivalences d’un territoire synthétisées dans un vaisseau de calcaire.
À quelques mètres d’ici, la place Belliard et ses arcades si caractéristiques, un manifeste de modernité dans la reconstruction de la ville. Une architecture avenante mais la rusticité de certaines maçonneries ne trahit pas la réalité de l’époque. Un ensemble qui marque les esprits, mais la fragilité se lit sur les murs, notamment avec cette devise « peu & paix » qui nous dit « certes j’ai une architecture dans le goût du temps, mais j’ai besoin de peu de choses et je veux la paix ».
L’église Notre-Dame, la place Belliard, et d’autres, représentent l’audace, les limites et la résilience dont la ville est pétrie. Au XVe siècle aussi les transformations de l’église Notre-Dame sont comme un témoignage du contexte local.
Que nous raconte finalement cette date de 1423 dont l’anniversaire, 600 ans, est fêté cette année ?
Une inauguration, non. Un achèvement, non. Une étape, assurément. Un moment de bascule comme il en existe dans l’histoire des villes, très certainement. 1423 c’est le millésime de mise en chantier de trois nouvelles voûtes. Vous imaginez bien entendu que ce simple événement ne justifie pas à lui seul une commémoration à renforts de conférences, concerts et autres célébrations.
Nous fêtons évidemment les 600 ans de la grande reconstruction de cette église partant de la nef avec le bas-côté sud, incluant le clocher et sa flèche, puis le bas-côté nord, et enfin le chœur, les chapelles rayonnantes et la chapelle Saint-Pierre. Et malgré les destructions, la volumétrie gothique a pu être rétablie, l’esprit du monument flamboyant a été transmis jusqu’à nos jours.
600 ans d’une étape dans un grand chantier qui court du premier quart du XVe siècle à la Renaissance dont on se plaît à dire qu’elle est l’âge d’or de Fontenay-le-Comte.
Sans nier les richesses architecturales du XVIe siècle ainsi que le formidable bouillonnement intellectuel humaniste, je fais partie de ceux qui ne considèrent pas la Renaissance fontenaisienne comme un âge d’or isolé de ce qui s’est passé avant et meilleur que ce qui est advenu ensuite.
C’est au XVe siècle que la silhouette de Notre-Dame s’impose dans le quotidien et rien ne viendra contredire ce fait. Ni les guerres de Religion où le clocher devient un outil dans la stratégie militaire, ni la Révolution, où un bonnet républicain est placé sur l’extrémité de la flèche.
C’est au Moyen Âge que Notre-Dame devient le visage de Fontenay-le-Comte. Ce XVe siècle qui prépare Fontenay à devenir un foyer humaniste, ce XVe siècle dont les fondations ont été posées au XIIIe, notamment lorsque les prérogatives de la ville ont été développées sous l’apanage du comte Alphonse de Poitiers.
Une longue période, jusqu’au XVIIIe, qui fait de Fontenay une ville d’Ancien Régime importante à l’échelle du Bas-Poitou et connue au-delà.
Une succession d’événements qui confèrent à la cité son statut administratif : sénéchaussée (1544), élection fiscale (1557), administration des Eaux et Forêts (1698), et j’en passe. Même la frilosité vis-à-vis d’une éventuelle installation épiscopale au XVIIe siècle porte les marques de l’importance de la ville, de ses fragilités aussi bien sûr. C’est par indépendance de la cité, également parce qu’il faut reconstruire, que Notre-Dame ne devient pas cathédrale à la suite de l’abandon de Maillezais à cause des destructions et réorganisations qui émanent des guerres de Religion.
Et dans cette vaste frise chronologique, l’église Notre-Dame témoigne de la richesse et du poids politique de Fontenay autant qu’elle conditionne une part de la forme urbaine avec le canevas des rues et des îlots autour d’elle. Longtemps d’ailleurs, l’église a composé avec les bâtiments qui la touchaient. La ville organique, qui s’agrandit et se rétracte façon rhizome. Les bâtiments qui se construisent en regard de l’église, le monument qui évolue dans l’espace que l’usage urbain lui donne.
Alors que la ville a été rebâtie aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles sur la trame léguée par la période médiévale, Notre-Dame est demeurée le témoignage le plus éclatant d’un XVe siècle déterminant pour Fontenay.
Il y a peu de hasards dans l’histoire d’une ville. Seulement une succession de faits, d’événements, de décisions, qui associés à des facteurs extérieurs, conditionnent tout ou partie de la suite. C’est en partant de cela que j’essaye de m’attacher à écrire sans nostalgie, sans regretter un hypothétique meilleur, et je me plais à croire que l’âge d’or de Fontenay-le-Comte n’est peut-être pas le cœur du sujet.
Je vois Fontenay comme un monument global, et Notre-Dame fait corps avec !
Telle une falaise d’où la mer s’est retirée, il y a quelque chose de la sédimentation. Les époques se déposent en couches successives, certaines en effaçant d’autres.
Nous sommes dans un bâtiment qui concentre à lui seul toute l’activité, l’âme, les prières de ceux qui croient, les ressentiments, aussi, d’une communauté humaine. Quand on dit « Notre-Dame », il y a cette question de la possession. Se l’approprier c’est s’approprier son lieu de vie ou l’endroit dans lequel on passe.
Car ce monument, cette église, m’appartient, appartient à l’enfant que j’étais quand j’ai aperçu la flèche pour la première fois et à celui que je suis aujourd’hui, appartient aux oiseaux qui semblent graviter inlassablement autour du clocher. Ce monument vous appartient, appartient à ceux qui ont été et à ceux qui seront. À ceux qui, avec toutes les bonnes raisons du monde, n’y ont jamais mis les pieds, à d’autres qui y entrent assidûment, à ceux qui observent la lumière sur ses parois de pierre blonde, aux autres pour qui la flèche fait simplement partie de l’horizon quotidien.
Donc s’il ne dit pas tout, ce livre est une invitation. Certaines choses sont suggérées, d’autres éléments plus approfondis. L’objectif est de donner des clefs de compréhension et d’appropriation.
Avec ce livre je vous pose donc une seule question :
Entendez-vous battre le cœur de la ville ? »
3 réponses sur « Entendez-vous battre le cœur de la ville ? »
Bravo pour ce livre et cette présentation.
Tu te bonifie comme le bon vin William.
Amicalement.
Un grand merci cher Michel pour ce retour. Amitiés.
[…] aussi : Entendez-vous battre le cœur de la ville ?, […]