Quand : j’ai hésité entre un sachet de courgettes bio et une aubergine, j’ai recadré sèchement une personne raciste, j’ai été maladroit en envoyant un message, j’ai pensé avoir été trop cavalier avec ce garçon, l’averse est tombée lorsque j’étais au bout de ma rue sans parapluie, j’ai donné de la pâté au moins sympathique des chats de la copropriété, j’ai proposé de la revoir pour échanger sur un sujet qui nous est cher, j’ai envoyé ce dossier à l’université, j’ai accordé un participe passé avec avoir, j’ai fait une blague un peu potache au boulot, ma carte bancaire a dysfonctionné deux fois à la librairie…
Les doutes s’accumulent, se superposent, composent un mille-feuille d’incertitudes face auquel souvent j’ai flanché. Aucun n’est insignifiant, jamais, mais aujourd’hui c’est différent. C’est différent parce que je continue de faire des choses et curieusement elles ne me coûtent pas. Si je dis « curieusement » c’est que souvent je pèse le pour, le contre, me fais des nœuds au corps et à l’esprit sans être assuré après coup d’avoir pris la bonne décision. Là j’imagine Thémis un moulinet à vent dans la main en lieu et place de la balance.
Assis à la terrasse je regarde passer les gens quand il y en a, et souvent il y en a. Devant moi quelques feuilles de mon prochain manuscrit. Je corrige, je raye, j’amende, je gueule intérieurement mon texte et je crois en ce que j’écris. Les pensées finissent par divaguer et se perdre. Je repense à l’autrice rencontrée quelques mois en amont. Quand je l’ai vue j’ai eu envie de tout lui dire de ce projet qu’une seule personne connaissait en dehors de moi. Elle m’a intimé l’ordre de poursuivre, alors j’ai poursuivi, pour moi plus que pour quiconque. Me revoyant elle m’a demandé aussitôt où j’en étais. Je croyais qu’elle aurait oublié, j’ai dû être crédible quand je lui en ai parlé. De nouveau je regarde les gens, de nouveau je corrige un paragraphe et je le crie aussitôt dans ma tête. Là j’imagine Balzac aphone.
Il a souvent été question de valeur et d’affirmation de soi ces derniers temps. Dans les conversations récentes je me suis senti plus assuré, plus en mesure de dire ce dont j’avais besoin ou envie. Longtemps les doutes se sont retrouvés confrontés à des choix très influencés par les autres. Aujourd’hui j’apprends à décider de ce que j’en fais. C’est doux, grisant, vertigineux aussi. Je revois la liste des choses que je sais faire, cet inventaire façon formulaire Cerfa dressé dans le but d’avoir un diplôme (ce truc que je n’ai pas parce que j’ai certainement plus pensé aux autres qu’à moi). Un sentiment de surprise et de détermination mêlées m’habite face à cet empilement de réalités que je redécouvre. Là je me vois moi, je fais de mon mieux et ça a l’air pas trop mal.