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Fragments écrits - Journal

Les voies que l’on trace

Lui, moi. Les gens, ils sont peu nombreux. Il pleut à verse, la journée n’est pas terminée et le port est plongé dans une moiteur baveuse que ne trompe pas le projecteur du dépôt pétrolier. Tout autour le ciel est pourtant clair. Une lumière enveloppante venue de loin, la clarté extravagante des jours de pluie sur le front de mer. Je pense à Bernard-Marie Koltès ou bien à Anne Sylvestre, je ne sais pas vraiment, tout se télescope.  

Lui, moi. Les gens, ils sont peu nombreux. Il pleut à verse, le vent venu d’on ne sait plus trop où, peut-être tourne-t-il, refuse de capituler. Au milieu de l’eau un bateau, il file vers l’ouest, là où l’horizon ne se voit pas, là où l’écume et la brume se confondent. Il part avec une certitude qui paraît insolente, celle de ceux qui cheminent à juste raison sans attendre le wagon suivant. Tout se télescope, plus tard en revoyant l’image.

Lui, moi. Les gens, ils sont peu nombreux. Il pleut à verse, la digue de béton émerge de l’esplanade. Tirée par des forces invisibles la Manche flue et reflue, le bateau ne dévie en rien de sa trajectoire. Il y a quelque chose comme une attirance mystique, une absolue conscience qu’il faut tracer cette voie. Je ne pense plus à Bernard-Marie Koltès mais plutôt à mon cœur que j’écoute se balancer. Tout se télescope, encore.

Lui, moi. Les gens, ils sont peu nombreux. Il pleut à verse, sur l’écran du moins. Dans le salon j’écoute Anne Sylvestre. Comme presque tous les jours. Les quais se confondent avec les pommiers de Thérèse, des princesses dorment dans leurs chambres d’or, on pleure et l’on rit parce qu’il faut se jeter à l’eau. Les desseins se télescopent avec assurance, c’est ce que raconte désormais cette photographie, c’est ce qu’elle racontait déjà de moi des semaines en amont.

Lui, moi. Les gens, je ne sais pas s’ils sont nombreux. Il ne pleut pas de hallebardes et on se téléphone. Lui, il compte, les gens aussi mais d’une autre manière. Comme au premier jour je lui dresse la liste de ce que je veux faire, plus encore je dis aujourd’hui ce que je fais, ce que je vaux aussi. Ma vie, sa vie, celle des gens : tout ce qui gravite, se télescope et poursuit sa propre route. Je bâtis de nouveaux souvenirs, avec eux j’érige des certitudes, je mène mon esquif, j’assemble ce qui n’appartient qu’à moi. La voie semble intangible, elle était déjà tracée.

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