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Propos culturels

Barto et les amers de la ville

Fragments en hommage à Bernard Barto, mars 1937-mars 2023.

À quelque endroit des années 1970 un vieux cinéma paroissial du centre-ville de La Roche-sur-Yon est repris en gestion par un opérateur privé. Dans cette même ville Louis Soullard a livré le décor de béton du passage Foch et l’on vient d’ériger trois totems cinétiques de Yaacov Agam, Carlos Cruz-Diez et Nicolas Schöffer. Bien plus loin, sur la côte à Saint-Jean-de-Monts, René Naulleau obtient de réaliser le programme immobilier Arc-en-Ciel tandis qu’à Fontenay-le-Comte les premiers transformateurs électriques sortent de l’usine dessinée par Georges Mathieu. Les Trente Glorieuses sont encore palpables, le territoire croît façon rhizome et se modernise tant bien que mal.  

À quelque endroit des années 1970 un vieux cinéma est repris en gestion ; René Naulleau doit l’agrandir et le mettre au goût du jour. Une salle de 1936 et un bâtiment de 1953 subsistent. Un agrandissement est projeté sur le parcellaire voisin mais l’architecte se heurte à l’impératif esthétique d’unifier des façades de hauteur et de dimensions différentes. Dans des rues sèches au regard, dessinées par les Ponts et chaussées selon des principes de fonctionnalité et de luminosité, le moindre accroc bouleverse un équilibre déjà malmené par le mitage. René Naulleau soumet son projet de cinéma au jeune plasticien Bernard Barto. Ce dernier suggère une coque de béton et des trames de néon, rien de plus. Celui qui a déjà mis en couleur les usines Esswein et Big-Chief ainsi que le palais des sports de Beaulieu sait que l’intervention la plus pertinente est aussi celle qui se fait la plus sobre.

Le cinéma Concorde, La Roche-sur-Yon, 1976-1977. Photo : Barto

Le principe est simple : des traits de perspective dans la rue, le hall et les escaliers, des pans qui s’émoussent suivant les faîtages. Simples, les matières le sont aussi : béton peint, verre, plexiglass. C’est parce qu’elle est la plus élémentaire que cette architecture est la plus radicale et la plus audacieuse, identitaire autant que furtive. À Nantes, les Barto, Bernard et Clotilde, investissent la rue Crébillon, la passerelle Schœlcher, l’hôtel La Pérouse, le mobilier du tramway ou encore le pôle Magellan qui, au soir tombé, se fond dans le halo des candélabres de l’avenue Bonduelle.

Barto + Barto, Sans titre, Nantes, 1981. Photo : William Chevillon

Les littoraux ont leurs amers ; sans bouleverser le paysage, souvent ils s’y fondent, ils sont des pivots dans sa lecture. Les Barto bâtissent les leurs. Ils lèguent un témoignage temporel en respectant la forme urbaine et en s’adaptant à ses contraintes. L’art et l’architecture comme une chasuble sur la ville ainsi que pareils à un miroir de l’existant.

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