
En parlant d’elle je dirai que je l’appelle M.
M. vit dans un petit appartement de la via Santa Giovanna d’Arco. La rue est étroite entre le Panthéon et la place Navone. Il y a ici un centre d’accueil religieux pour pèlerins et résidents au long cours. M. est de cette seconde catégorie. À l’heure des balayeurs, les devantures des boutiques de souvenirs sont encore vides et les martinets noirs commencent à peine à découper le ciel de leurs cris perçants. C’est le moment choisi par M. pour brûler un cierge à Saint-Louis-des-Français. Ensuite, elle parcourt la rue Sainte-Claire puis la rue Sainte-Catherine-de-Sienne avant de bifurquer à droite au niveau du magasin d’articles d’art Ditta G. Poggi où, habituellement, elle achète ses sanguines. Elle poursuit en contournant le Vittoriano par le nord, jette un œil sur la colonne Trajane et s’installe en surplomb du Forum sur l’une des terrasses bordant la Via Sacra. À la mi-journée elle fera le chemin inverse, passera regarder les chats du Largo Argentina, prendra la rue à droite, puis à gauche, puis re-à droite, remontera le flux des touristes et s’engouffrera d’un pas léger dans le sombre corridor de la via Santa Giovanna d’Arco.
Au même instant, je découvre la mer Ligure depuis les reliefs de Spezia. La hauteur de l’autocar permet alors de se faire une idée des parois rocheuses dressées presque à l’aplomb de l’eau. Je m’amuse à l’idée de voir un nouvel horizon après chaque tunnel, comme autant de gorgées d’un panorama que je bois sans discontinuer. L’état de la route nous fait trembler mais je m’en soucie peu. J’attends chaque passage, chaque nouveau versant, comme une séquence de plus dans un film qui n’a pas de fin. Je ronge mon frein quand un mur anti-bruit coupe la vision. Et même là je m’amuse à créer des typologies que je classe dans ma tête. Tel module de béton, selon sa découpe et sa couleur, équivaut à un paysage. Telle pile de pont correspond à un relief propre, à une contrainte spécifique, au goût d’une période… Au fil des déplacements je suis devenu expert du style « Autoroutes du Sud de la France circa 1990-2005 », alors je choisis d’appliquer ce que je sais dans mes nouvelles observations. J’essaye de penser sérieusement mais je n’y arrive pas. Alors je me rattache à cette série de détails et aux fenêtres visuelles qui s’ouvrent. Plus tard, je verrais pour la première fois la côte Tyrrhénienne en essayant de deviner le paysage derrière la cheminée et les câbles à haute tension de la centrale thermique Alessandro Volta. Ce même jour, vers 18h30, d’après l’heure consignée par mon appareil photo, je me ferais une idée des plages à travers les préfabriqués posés sur le lungomare de Lido di Ostia.
Ce jour-là, je ne sais pas que je vais rencontrer M. Ce jour-là, M. ne sait pas qu’elle va me rencontrer. Arrivera ce matin où M. parcourra la rue Sainte-Claire puis la rue Sainte-Catherine-de-Sienne, ne contournera pas l’Altare della Patria, ne jettera pas un œil sur la colonne Trajane, mais choisira le Capitole avant de s’installer sur une terrasse dominant le Forum pour croquer les pins et arbres de Judée. Arrivera ce matin où l’autocar quittera la via Armando Diaz à Fiuggi, traversera la zone commerciale de Roma Est, longera le Campo Verano et nous laissera au pied des thermes de Titus où fleurissent également quelques arbres de Judée. Je ne sais pas que je vais entendre le zozotement de M., elle ne sait pas qu’elle va avoir droit à une tentative de phrase en italien de ma part. Je sais simplement que la seule vision de l’arbre en fleurs agit depuis sur moi comme un baume.
2 réponses sur « Ce que sera ce jour de printemps »
Evidemment que j’adore ton texte…mon cher William !!!
Mi piace tanto Roma !!!
Une question, toutefois : peux-tu me justifier ton utilisation du conditionnel ? Ne serait-ce qu’à la première phrase… Bon, je sais, ton texte a 20 ans !!! Tu n’étais encore qu’un enfant !!!! Bises
Bonjour Claudie, cela rappelle quelques souvenirs en effet ! Je me suis posé la question du conditionnel en effet, j’ai eu envie de créer l’idée d’une forme d’incertitude dans les événements devant arriver. Peut-être vais-je changer la première phrase cependant.
Bises 🙂