1951, le ministre de l’Éducation nationale Pierre-Olivier Lapie parvient à instituer une mesure par laquelle 1 % du montant hors-taxes de la construction d’un bâtiment scolaire est alloué à des travaux de « décoration ». Étendu par ailleurs à d’autres ministères, le dispositif vise à soutenir les artistes mais également à développer l’environnement artistique à destination des usagers. Portée dès les années 1930, en réponse à la crise, par des parlementaires de différents bords politiques et par le ministre Jean Zay, la systématisation des commandes artistiques voit le jour dans un contexte de fort développement de l’immobilier scolaire. La France est en effet saisie de deux faits majeurs : la démographie galopante d’après-guerre et la bascule vers une société moderne. Face à l’accroissement des besoins, les travaux et constructions ne sont plus des options mais des nécessités profondes.
À La Roche-sur-Yon, les années 1950 sont celles des premiers soubresauts d’une mutation urbaine généralisée. Quartiers de la Liberté et des Forges, aménagement paysager de l’avenue Gambetta, réflexions sur l’agrandissement des bâtiments administratifs… les projets se multiplient et le cadre scolaire se greffe à cette dynamique. Sur le versant nord de la place Napoléon, les lycées de garçons (Édouard-Herriot) et de jeunes filles (Stéphane-Piobetta) font l’objet de travaux structurants respectivement en 1958-1960 et 1963-1964. L’architecte désigné pour superviser les projets est Jean Dumont (1923-2007), cela n’exclut pas l’intervention d’architectes tiers par voie de délégation. Celui qui signera plus tard le Tripode, sur l’île Beaulieu de Nantes, applique à La Roche-sur-Yon un certain nombre de principes de l’architecture moderne et fonctionnelle, notamment à partir d’éléments préfabriqués. Séquencées de travées répétitives, et de claires-voies dans le cas du lycée de jeunes filles, les façades sont bâties sobrement. Les surfaces sont cependant rythmées par une alternance des matériaux : béton peint ou enduit, carreaux de faïence, béton lavé.
Dans ce registre architectural s’intègrent quatre artistes par le biais du 1 % artistique :
Marthe Schwenck
Sculptrice engagée dans le mouvement moderne, Marthe Baumel-Schwenck (1913-1992) intervient notamment dans le chantier de reconstruction du Havre. En son nom propre ou avec son époux, Jean-Marie Baumel, elle réalise des panneaux en reliefs incorporés à des bâtiments ou des sculptures pour des jardins publics. Le jardin du Luxembourg, le musée d’art et archéologie de Guéret ou encore le musée d’art moderne de la Ville de Paris conservent des œuvres de Marthe Schwenck. Au lycée de garçons l’artiste propose une figure d’homme-sirène ou de triton. En pierre reconstituée blanche, la sculpture-fontaine au lignage moderne, émerge d’une rocaille reproduisant l’élément aquatique. De taille humaine, l’objet artistique ornait le centre d’un bassin situé dans la cour des élèves. Tourné vers l’entrée de la rue de Verdun, le triton de Marthe Schwenck est déposé dans le cadre de la reconstruction du collège Édouard-Herriot (2009-2011). Posée sur la rampe d’entrée du nouvel établissement, la sculpture est dégradée puis installée dans un parterre de l’ancienne cour d’honneur.
Bernard et Yvette Alleaume-Vincent
Figures des interventions artistiques en lien avec l’architecture, Bernard Alleaume (1930-1998) et Yvette Vincent (1927-2011) travaillent notamment les surfaces, qu’elles soient murales ou au sol. Touchant la peinture, la brique, la faïence ou encore le béton, les artistes déploient, à deux ou chacun en son nom, une production aussi riche que diverse. Peu documentée, la réalisation pour le lycée Herriot se concentre sur les murs du rez-de-chaussée nord, près de l’entrée. Couleurs riches, lignes saillantes et contrastes marqués, l’œuvre (aujourd’hui détruite) de Bernard et Yvette Alleaume-Vincent apporte mouvement et abstraction.
Albert Deman
Originaire du Nord de la France, Albert Deman (1929-1996) s’établit en Vendée après la Seconde Guerre mondiale. Influencé tout au long de sa carrière par différentes mouvances (cubisme, fauvisme, expressionnisme…), Deman n’intervient pas directement sur le bâtiment du lycée Herriot mais propose un ensemble de vingt dessins à la pierre noire représentant les Fables de La Fontaine. Séquencé en cinq séries disposées en plusieurs endroits de l’établissement, l’ensemble se veut à la fois figuratif et abstrait. Propriété publique, l’œuvre est, de nos jours, toujours conservée.
Philippe Thill
En 1969, quelques années après la livraison de la construction, l’agence d’architecture Durand-Ménard supervise l’installation du 1 % du lycée de jeunes filles. Le projet est confié à Philippe Thill (1937-2010), lauréat du Prix de Rome en 1963. Sculpteur habitué des commandes publiques, Philippe Thill deviendra plus tard un acteur clé des liens entre architectes et artistes. À La Roche-sur-Yon, il propose une structure métallique d’environ quatre mètres de hauteur. Juchée sur un mur à l’ouest de la cour, la sculpture s’offre autant aux élèves qu’aux passants. Composée majoritairement de tubes de métal, l’œuvre (détruite de longue date) joue des contrastes entre surfaces mates et brillantes.
Diverses, les œuvres des lycées Édouard-Herriot et Stéphane-Piobetta portent, par leur esthétique comme leur contexte d’installation, les marques d’une période donnée. Il convient d’y observer un témoignage du fait artistique dans l’espace public. Par leur évolution, parfois leur dégradation ou disparition, elles invitent à interroger le rapport complexe jusqu’à être insondable, qui se noue entre le public et l’objet d’art. C’est le sens du travail de recherches que je mène depuis plusieurs années dans l’optique d’une publication prochaine.
William Chevillon
Chronique publiée en 2024 dans le bulletin annuel des anciens élèves et professeurs des lycées Herriot et Mendès-France de La Roche-sur-Yon.