Soixante-trois fois sept mètres par deux virgule soixante-dix. Quatre-cent-quarante-et-un mètres linéaires de vies projetées sur un plan de verre. Au sol, l’asphalte inerte au pas et à la végétation mais parterre d’un furtif théâtre urbain. Je ne regarde pas chez les gens mais les lumières m’attirent ; pas celle des réverbères qui emmaillote les murs de teintes tangerines, plutôt le halo des néons, diodes et autres sources domestiques. Déjà au septième étage j’ai remarqué la mappemonde plaquée sur le carreau, celle des voyages désirés ou réalisés. L’ampoule en découpe les contours. Plus à gauche l’appartement d’un garçon que je n’ai pas intéressé très longtemps, c’est bien dommage et seul demeure le souvenir exact du livre posé sur son chevet. Plus en bas un drapeau breton coiffe la télévision tandis que l’appartement adjacent affiche fièrement un double-cœur rouge. Au rez-de-jardin une cuisine partiellement dissimulée par un film translucide qui découpe horizontalement la baie. Je ne regarde pas chez les gens mais les lumières m’attirent ; je ne fais que passer, sans m’arrêter, un bref regard nourrit mon imagination et j’espère déjà le retour du lendemain où un nouveau rectangle de 700 par 270 centimètres sera éclairé. Je ne regarde pas mais je vois ce qui est donné à regarder, peu de choses mais quelques décimètres accumulés de vies dont j’ignore tout sans chercher à en savoir davantage.
Lors de cette marche je reçois de I. un enregistrement de Delphine Bretesché. L’artiste y parle de vacances, de trente centimètres d’agenda représentant quinze jours d’un repos salvateur et mérité. Et dans ce manifeste, sur – et contre mais rien n’est certain – la mesure du temps, une phrase m’attire : « Je tiens à mon centimètre, c’est bon d’avoir son centimètre pour exprimer son moi à soi. » Mesurant l’espace d’évolution des autres je me mets à envier ce centimètre, ces quelques millimètres de cocagne et ces mesures qui ne se voient pas. Exit le portfolio que je me fais de cette façade d’immeuble, l’étalonnage de ces existences est ailleurs et je n’en aurais pas la clé.
Au matin plus rien n’est visible de mes fantaisies du soir passé. Mes soixante-trois fois sept mètres par deux virgule soixante-dix sont devenus silencieux, ne reflétant que la couverture de stratus laiteux. Je ne regarde pas chez les gens mais les nuages m’attirent ; et face à ce qui ne m’appartient pas je songe à glaner mes centimètres, ceux auxquels j’ai accès mais qui s’échappent quand mon regard ne se préoccupe pas assez de mes aspirations profondes.
Sed fugit interea, fugit irreparabile tempus, singula dum capti circumvectamur amore