Ce dimanche 15 juin 2014, pour les Journées du Patrimoine de Pays et des Moulins, j’ai tenu à ce que la balade « Histoire, nature et vélo » (que j’animais pour l’Association Patrimoine Yonnais) puisse être l’occasion d’une médiation autour des œuvres réalisées dans le cadre du 1% artistique à La Roche-sur-Yon. Parmi elles, une Colonne Chromointerférente de six mètres de haut installée par Carlos Cruz-Diez au collège des Gondoliers en 1972. Ayant été sur place pour une habituelle tournée de contrôle des installations artistiques – je travaille sur le sujet sur mon temps libre depuis 2009 – j’avais constaté une fois encore un état de dégradation inquiétant, l’œuvre n’ayant jamais été entretenue. Quelle fut ma surprise le 15 juin quand j’ai découvert, en même temps que le groupe de 30 visiteurs, la disparition pure et simple de la structure monumentale… J’ai donc a posteriori pris le soin de questionner la direction du collège et les services du Conseil général. La réponse fut claire ; devant les problématiques légitimes de sécurité causées par la rouille notamment, la Colonne de Cruz-Diez a simplement été mise au rebut lors des vacances de Pâques (le Conseil général ayant demandé à l’entreprise Colas, qui effectuait des travaux de voirie, de se charger de l’enlèvement). D’après différentes conversations téléphoniques, il n’y a aucune chance que l’œuvre ait été préservée d’une quelconque manière, l’enlèvement s’apparentant plus à une destruction qu’à un démontage. J’ai évidemment demandé qui avait donné l’autorisation d’un tel acte et si les services du Ministère de la Culture avaient été mis au courant. La réponse fut aussi très simple ; l’établissement a alerté les services du Département sur les questions de dangerosité (chute d’éléments métalliques ou de la paroi) dans un lieu fréquenté, lesquels services ont donné l’instruction d’enlever l’objet artistique. J’ai appris au passage qu’il en avait été de même pour une œuvre cinétique d’Antonio Asis (que je savais disparue) installée vers 1975 au collège Haxo.
La question de l’entretien des œuvres publiques.
Mis en place en 1951 – à partir d’un projet de Jean Zay et Jean Cassou porté en 1936 – le 1% artistique consiste à réserver 1% du coût de la construction d’un bâtiment public à l’acquisition ou à la création d’une œuvre d’art. Les objectifs de ce dispositif sont multiples à savoir rapprocher les usagers de l’art, soutenir la création ou encore donner une signifiance à des bâtiments parfois normalisés. Si les modifications récentes des textes liés à la mesure mettent en avant les nécessités de médiation et d’entretien, il convient de reconnaître que bien souvent les œuvres sont installées et oubliées, ce qui explique les phénomènes de dangerosité qui justifient le démontage (je pense à une œuvre de Yaacov Agam à Montpellier) ou la destruction pure et simple. Mais au-delà de l’abandon matériel, c’est aussi sur le champ intellectuel que beaucoup de choses se jouent. J’ai en effet la conviction, sinon la certitude, qu’une œuvre d’art ne peut se suffire à elle-même et que, même si elle est en apparence « figurative », elle recèle des éléments qui ne sont visibles que par la contemplation, la connaissance pour celui qui se documente ou l’explication (même ad minima) pour l’usager qui ne dispose pas des clés pour la compréhension. Aussi, je n’ai pas été surpris quand, au téléphone, mon interlocuteur du Conseil général m’a dit que la Colonne de Carlos Cruz-Diez était moche, dangereuse et qu’elle n’avait rien d’artistique. Si déjà les agents qui ont la maîtrise des équipements ne sont pas sensibilisés, on ne peut pas espérer du public qu’il le soit. Bien souvent, les objets artistiques dans l’espace public sont perçus comme encombrants et traités (quand ils font l’objet d’une attention) comme du simple mobilier urbain (jet d’eau à haute-pression, trous à la perceuse pour fixer quelque chose…). Le personnel territorial est-il pour autant responsable, je ne le crois pas. Comment peut-il l’être si personne ne lui a fait des recommandations et si la collectivité n’a pas de politique cohérente et volontariste dans le domaine ! Dans le cas de la destruction de la Colonne de Carlos Cruz-Diez, la sécurité des élèves a été jugée prioritaire (ce qui est tout à fait normal), mais tout porte à croire qu’avec un entretien et un suivi réguliers le problème n’aurait pas survenu…
Sur la perte d’une œuvre importante
Là où je suis en colère, c’est quand je vois chez nombre de collectivités (Voire l’État dans certaines commandes publiques. On rappellera l’exemple des deux plateaux de Daniel Buren et Patrick Bouchain au Palais Royal) une absence totale de volonté politique, quand bien même la culture de proximité – le 1% artistique en est un exemple – est nécessaire pour créer de l’émulation et sortir les gens de leur quotidien. Le but de l’œuvre d’art n’est pas que tout le monde l’aime car il ne saurait y avoir de consensus dans le domaine et c’est déjà là que la sculpture, la fresque, la tapisserie… prend son sens car l’esprit du spectateur n’est pas indifférent. Cette non-indifférence est fondatrice de la vie en société et c’est par sa prise en compte – qui passe par une considération de l’œuvre publique par le décideur – que l’on honore le triple objectif artistique, pédagogique et social qui était porté en 1936, en 1951 et depuis. Hélas, il faut aller dans des lieux comme Rennes pour trouver satisfaction.
Je ne sais pas si on se rend compte de la gravité que constitue la disparition d’une œuvre d’art. Si certaines œuvres… sont jugées comme « temporaires » par leurs artistes, ça n’est pas le cas de toutes et encore moins quand il s’agit d’art cinétique comme avec Carlos Cruz-Diez. En effet, l’art cinétique suscite le questionnement du spectateur par son action directe (déplacement, utilisation de dispositifs mécaniques manuels…) sur l’œuvre, ce qui rend sa signification inhérente à un état d’esprit individuel et lui donne une certaine intemporalité. Chez Carlos Cruz-Diez, c’est sur la couleur (appliquée selon des procédés mathématiques) que l’évolution de l’œuvre se base. A mes yeux, c’est ce point qui fait la particularité de l’artiste par rapport à d’autres cinétiques qui utilisent les formes, reliefs… seuls ou en complément. L’abandon puis la destruction de la Colonne Chromointerférente sont d’autant plus problématiques que Carlos Cruz-Diez est un artiste majeur présent dans les collections du M.o.M.A. de New-York, du Centre Pompidou de Paris ou de la Tate Modern de Londres. On ajoutera : la présence de trois de ses œuvres lors de l’exposition événement Dynamo qui s’est tenue en 2013 au Grand Palais, 16 distinctions et prix à l’international, une reconnaissance dès les années 1960 (notamment auprès de la galeriste Denise René)…
Grace à la relation entre l’architecte René Naulleau et Pierre Chaigneau (créateur du Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne, mais aussi premier conservateur du L.a.M. de Villeneuve-d’Ascq et du M.A.M.A.C. de Nice…) La Roche-sur-Yon a été dotée d’œuvres d’artistes cinétiques (Agam, Asis, Cruz-Diez) et cybernétiques (Schöffer) dont la présence en Vendée est aussi inattendue qu’unique. Avec ces installations, le 1% artistique a permis la sortie de la norme avilissante des modules cubiques préfabriqués alors imposés par la Direction Départementale de l’Équipement. Les œuvres ont fait date dans l’esprit des habitants mais par leur abandon, leur neutralisation (mobile d’Agam coulé dans le béton, tour de Nicolas Schöffer dépourvue de mécanisme) et leur destruction, elles ont perdu leur vocation et périssent gravement… Je ne sais pas ce qu’il y a à faire devant la perte irrémédiable de la Colonne Chromointerférente de Carlos Cruz-Diez, souhaitons que ce billet puisse au moins servir à une prise de conscience…
William Chevillon le 26 juin 2014
La Colonne Chromointerférente peu de temps après son installation (cliché : Atelier Cruz-Diez)
La Colonne Chromointerférente en 2011 (Cliché : William Chevillon)
La Colonne Chromointerférente en 2011 (Cliché : William Chevillon)
Informations techniques et plastiques :
Hauteur : 6m
Largeur : 0,8m
Matériau : Acier émaillé
Les trames rouges, bleues et vertes interfèrent entre elles ce qui crée une évolution chromatique en fonction de la distance du spectateur, de la lumière… Il faut ajouter une trame mobile (probablement à mécanisme manuel non électrique) dont le mouvement vertical génère une évolution des couleurs selon la vitesse, la position…