Un sentier improvisé à l’orée d’un pré, entre l’orge gracile attendant sa récolte et la rive plantée d’aulnes et de frênes. Cinq garçons qui marchent. On dirait le cadre d’un film mais ici tout est plus simple et certainement plus prosaïque. Il s’agit de tenir la glacière hors de l’eau lors de la traversée, de ne pas trébucher sur les pierres acérées au fond du lit. Je n’avais jamais marché au fond d’une rivière avant ces jours-ci, c’est grisant comme un impossible qui déconcerte tant il est simple à faire.
La rivière de l’enfance c’était un cloaque vaseux, une fosse avale du passage à gué où nous crapahutions entre les ronces et hameçons coincés dans les branchages. Rien de comparable donc, d’autant que, nous l’apprenions plus tard, les camping-cars étaient purgés sauvagement sur le gué. Ici, on parle fièrement de la rivière la plus propre de France. Je n’en sais trop rien mais je m’y baigne, j’y nage, je prends sur moi lorsque je n’ai pas pied et je flotte même plutôt bien.
Sur la grève de galets nous grignotons et regardons passer les canoës. L’allure des corps n’a pas d’importance, je bronze, c’est drôle je n’ai jamais vraiment bronzé, chacun s’estime selon sa propre valeur et fait ce dont il a envie. Alors, je remonte le courant, je me laisse glisser, je tente un crawl contre le sens de l’eau, et j’y parviens. Je ne cherche même pas la ligne de fond du bassin, celle que mes yeux ne pouvaient jamais voir, je n’en ai pas besoin. Je teste seulement mes limites, qui vont plus loin que les bornes de l’esprit. Toujours au ras de la surface une carpe saute soudainement à quelques centimètres de mon visage, ça aussi c’est grisant.
J’ai l’impression chaque jour d’aimer un peu plus mon corps, ce n’est pas si dangereux, ça ne fait pas mal. Il y a des formes, des modénatures des creux et des bosses. Un peu comme le paysage que je décortique du regard, un peu comme l’eau dont j’apprends à m’amuser.
C’est l’été et je ne fais rien. J’apprends à me baigner dans une rivière, je regarde les poissons juvéniles seriner une danse circulaire entre mes pieds, je me prends de passion pour les mots fléchés, je bois un peu trop à la fête du village, je me perds dans les reliefs que je ne connais pas ailleurs ; et tout cela me fascine.
C’est l’été et je ne fais rien, du moins je joue avec la ligne de flottaison. J’ai l’impression d’être un môme, et ça, ce n’est pas tout à fait rien.