Il est question du corps. Le corps comme l’espace dans lequel les choses se déroulent, comme l’habit qui nous est donné pour vivre, éprouver et ressentir. Ça c’est le sujet et la manière dont je l’articule. Il y a un atelier d’écriture, je ne participe pas directement mais je suis là. Mon corps avec d’autres corps, ça tombe bien parce que c’est l’objet de l’atelier et que chacun peut être le sujet pour soi et pour l’autre. Je suis là pour travailler, pas nécessairement pour contribuer mais on m’y encourage. De toute façon mon corps est présent, il participe donc quoi qu’il en soit.
Quelques temps avant j’avais décidé de le replacer au centre du jeu. « Je vais changer de lunettes, c’est comme si j’allais changer une part de mon identité. » Il m’a regardé, levé les yeux au ciel et m’a lâché : « Comme si tu avais besoin de ça pour être toi ! » Bon, d’accord, je change mes lunettes on voit mieux mon iris et je me sens un peu nu, un peu bête, un peu plus moi sans doute aussi. Il était jusqu’alors important de me tailler un costume invariable, une chose infaillible destinée à contenir les a-priori et les regards croisés dans la rue. Soudainement je change donc un détail en pensant que cela va tout transformer. Et tiens, j’apprends là que je possède bien un corps et ses fluides, que je les ai en possession depuis toujours et qu’ils n’ont besoin de rien d’autre pour être présents. Peut-être simplement me vois-je, c’est drôle et pas si dangereux.
Lorsque je me vois, l’objet c’est mon propre territoire, dont la cartographie m’échappe autant qu’elle peut me paraître familière. Il arrive que les cartes mentent et celle de mon corps ne fait pas exception, du moins dans ce que je me donne à voir et donne à voir aux autres. Et puis je crois qu’il parle comme un paysage ce corps, pas si bringuebalant que ce que j’ai pu en penser. Il s’érode tel un plateau d’argile soumis aux averses, prend des angulations nouvelles au gré du temps, devient l’isthme qui me rattache au tout. Il y a le corps et puis moi par rapport à mon corps. Mon corps, moi qui ; moi, mon corps qui : fait les courses, remonte la rue tous les matins, patauge après avoir prononcé une blague d’un goût douteux, est de moins en moins anorexique mais pas tous les jours, écrit une carte à l’amoureux, est gêné devant un compliment, aimerait être physionomiste, garde l’empreinte de ce qui ne se dit pas, se verrouille face à une question du psy, clopine lorsque le genou devient douloureux, s’interdit de quitter son châle de tensions, s’autorise à sourire sans raison, fait des listes, est moi et moi qui suis lui.
Et puis ces instants, de plus en plus nombreux comme autant de petits succès, où les questions qui taraudent se tarissent.