C’est la rentrée et je revois les gens. Ce lieu c’est un peu le prolongement de ma vie, de mon éducation aussi. Il y a moi et il y a les gens, celles et ceux, beaucoup, avec qui le lien ne se rompt pas, ce qui mobilise beaucoup l’esprit. Et puis les personnes que l’on accompagne sans pour autant les réparer, pour qui on déploie des trésors de patience. Les personnes qui passent de l’autre côté du miroir, à qui il faut expliquer, répéter, montrer inlassablement, puis refaire la même chose le lendemain. Et il y a ces personnes qui s’éteignent, furtivement, comme des chandelles. Je m’attache, je mets toute mon énergie, je joue un peu l’éponge et ne sais pas faire autrement.
Je reçois par La Poste le dernier livre de A. – je parle de A. avec une seule lettre parce qu’il fait la même chose pour les personnes qui comptent le plus –, la dédicace me dit qu’il y a un petit bout de moi à l’intérieur. En effet, je vois ce petit bout, ce petit rien qui en a submergé tant d’autres, puis cette carte mentale du territoire gravée dans ma tête et par laquelle sont arrivées beaucoup de choses. Ce petit bout c’est précisément ce moi comme un poisson dans son élément.
Ici, j’ai l’impression de tout connaître, d’être allé partout et de mettre mon énergie en tout. Et lorsque je ne connais pas je trouve un repère cardinal et ne me perds pas. Ce soir-là avec J. nous sommes sur le retour d’une promenade de quelques heures. J’ai envie d’aller voir le lac, je suis crédible alors que je n’ai jamais été à cet endroit précis. Comme prévu, nous arrivons et le lieu est comme je pouvais l’espérer. Avec J. nous marchons dans le sous-bois. Au fond de l’allée le ciel semble s’ouvrir, puis, c’est un colosse d’horizon qui s’offre totalement par-delà les brumes. Le paysage parle à ma place, je me sens saisi mais je ne dis rien. Je pense tout connaître mais je n’ai rien vu. Ou bien est-ce un autre frisson.
Avec J. je crois tâtonner mais en réalité tout est facile. Un étourdissement qui n’en remplace aucun autre. Sur le sentier j’ai bien senti que j’étais étourdi, sur la route aussi, dans ce qui se dessine également. J’ai la peau transie de bruine et l’esprit déjà ailleurs. A. m’a déjà dit que j’étais prêt, dans le regard que porte J. je le lis bien davantage encore. Je ne me défais de rien mais je sens que j’entre dans un nouveau vertige. Alors, je scrute les brumes en silence, j’imagine être le même moi en une autre eau et je prends le temps de respirer à pleins poumons, je ne sais pas faire autrement.
2 réponses sur « Par-delà les brumes »
William,
Il y a dans ton bel écrit beaucoup de cette subtile mécanique des fluides, de laquelle il est sans doute bon de ne pas tout saisir. Bien au contraire se laisser baigner de ces baptêmes, renouvelés pas à pas, d’ombres tenues à de possibles lumières…
Merci pour ces quelques pas de fraîcheur dans l’herbe du matin …
C’est très beau William ce passage par l’écriture d’une énergie sans résistance suffisante pour entraver les pas dirigés vers l’ouvert