Catégories Fragments écrits - Journal Amavi Auteur de l’article Par William Chevillon Date de l’article 23 octobre 2022 Aucun commentaire sur Amavi De la ville je connais tous les ponts sur le fleuve et les architectes à l’origine des poteaux portant les caténaires du tramway. De la ville je connais aussi la fonderie d’où est sortie la structure métallique de l’escalier du passage couvert. Lui, connaît spontanément l’écartement des rails posés sur le quai. Je ne le dis pas mais cela me touche au-delà de me réjouir. La nuit passée nous nous sommes perdus. Je veux dire je me suis perdu, lui comme passager, moi chantant des chansons désuètes en essayant de trouver mon chemin, et de fait j’étais amusé. « Tu vas voir, ma voiture a connu Chirac Premier ministre. » lui ai-je déclaré fièrement. Cet étendard automobile j’en suis fier, autant que ma capacité à psalmodier n’importe quel texte, d’une notice d’utilisation de lave-vaisselle à un roman Harlequin. Cette campagne m’est familière, son parcellaire comme ses usages et son paysage olfactif : la rosée fraîche dans le ray-grass, l’odeur de l’épandage en soirée, le souffre émanant du vignoble, la moiteur sèche des caves où la poussière terreuse recouvre un sol de béton. D’une ville à l’autre la route est droite, mais je me suis perdu. Dans un village, réverbères éteints, un demi-tour, les phares éclairant le panneau d’informations touristiques, une autre manœuvre, laborieuse il faut l’avouer, et c’est la façade sans âge d’un tabac-presse qui se retrouve illuminée. À l’étage, un homme curieux de regarder ce qui s’avère être l’événement de la nuit. L’esprit engourdi, il faut l’avouer aussi, je reprends notre route et l’écoute quand il parle autant que je lui montre le paysage. Là, à gauche, l’hôpital psychiatrique donnant sur le fleuve, ici la biscuiterie et le départ du canal. Et la nuit, dont les pensées sortent saisies d’exaltation. Le lendemain nous cheminons, je dirais même que nous musardons – musarder est un de mes verbes préférés – au gré de nos envies. Je pourrais tout lui dire, tout lui montrer, mais je me réfrène assez naturellement. En d’autres temps je sais que j’aurais parlé sans discontinuer, davantage par timidité que pour occuper l’espace. J’ai appris à apprécier les silences et les regards. Devant le mur aux figures peintes je ne m’empêche pourtant pas de parler de l’histoire de la ville, celle plus ou moins glorieuse et celle improbable parfois. Écrivant une carte postale, j’invente les vacances de mon fils, Hector, qui a bâti un château de vase sur une grève fluviale. Cela l’amuse autant que moi et plus tard je lui explique que la passerelle piétonne que nous allons emprunter est montée sur vérins de manière à garder une hauteur de passage suffisante pour les bateaux. La journée se poursuit et chaque moment semble être là pour perpétuer le vif souvenir du précédent. Un sentiment entraîne un mouvement qui, lui-même, suscite un enthousiasme. Sans égarements mais avec ardeur les émotions se déploient. Sans remparts elles trouvent un écho en nos corps. Et lorsque le jour rend les armes à l’heure du retour il n’est pas question de déchirement mais d’un constat, celui dressé par l’une des devises de la ville : Amavi, j’ai aimé. ← La plaine, Fritz et le réel → De la liberté de ne classer ni les sentiments ni le Monoprix Laisser un commentaire Annuler la réponseVotre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *Commentaire * Nom * E-mail * Site web Enregistrer mon nom, mon e-mail et mon site dans le navigateur pour mon prochain commentaire. Δ