De la ville, la première silhouette est celle de la gare. Aussitôt lui dis-je qu’elle est de Victor Laloux, le même qui a réalisé la basilique et d’autres choses connues mais dont j’ai oublié le nom à cet instant. Il m’écoute et je continue, je pourrais lui parler de la technologie Inorail qui alimente le tramway en électricité et il m’écouterait encore. Je ne le fais pas, simplement je le regarde et cela est bien mieux. Je sais que mes histoires l’amusent, qu’il sait que dans chaque ville traversée je trouverais quelque chose à raconter. De mon silence je me contente et goûte la sensation du vent qui, de l’Est, transporte ce que le lieu a de parfums et de chaleur.
À une touriste qui souhaite être prise en photo devant une ruine j’explique l’architecture de la première Renaissance, je me fais des auto-concours de datation de monuments et déjà nous cherchons la carte postale la plus laide, celle avec un chaton et des géraniums, pour témoigner de notre passage en cette auguste cité. J’aurais aimé qu’il en existât une avec l’Aérotrain dont il m’a montré le rail de béton déployé sur la plaine céréalière. « Bons baisers du Loiret » au-dessus d’un chaton roux conduisant un prototype de Jean Bertin.
Il m’a photographié dans le train duquel nous regardions la promesse technologique des Trente glorieuses, et dont il m’indiqua qu’elle pourrait revoir le jour. « Raymond Depardon » a-t-il dit. Je me suis davantage vu dans un safari sans lions ni girafes, une exploration de ce que la société industrielle a semé comme autant d’animaux tapis dans le lointain.
Les bagages posés nous rendons visite à Fritz, l’éléphant naturalisé après qu’un cirque eût l’idée d’offrir sa dépouille à la ville. Je repense au safari dans la Beauce et me dis que la bête est aussi liftée qu’un silo à grains dont on a rénové la couverture zinguée. Qu’importe, Fritz devait être une brave bête et les conditions de son existence nous le rendent sympathique.
Dans cette étape nous voilà sur un isthme, mi touristes mi habitants. La grande roue nous attire, tout comme une escapade loin de là, sur l’autre rive. Et lorsque nous y cheminons, je lui demande s’il a déjà grimpé dans un clocher d’église. Je monte, pousse la trappe, elle me résiste mais peu de temps, lui indique qu’il peut venir. « C’est solide ? » Oui, je n’en doute pas. J’ai regardé ma montre : « Ça devrait faire bong d’ici une minute ». Les cloches tintent, nous étions préparés.
Nous étions préparés à voir Fritz, à trouver le meilleur PMU pour un café allongé, à musarder outre-Loire et à contempler le paysage depuis un wagon sans doute commandé par Olivier Guichard. Vivre et éprouver ici nous l’avons anticipé, mais semblables à une première fois continue il est des sentiments que l’on mesure qu’au prisme du réel.