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Fragments écrits - Journal

Necora puber

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Est-il important de donner un nom à une jeune étrille ? Je veux dire y-a-t-il un sens à donner à une appellation autre que Necora puber à ce petit crabe déposé sur le sable par une vague mourante. N’est-ce finalement pas l’image de l’animal se réfugiant à l’ombre de la chaussure qui est plus importante. La vision d’un petit être piégé par un dépouillement soudain et se blottissant dans le premier refuge en attendant d’être repris par une nouvelle vague.

Et au même moment, les embruns dans ses cheveux, ma main sur le sable semblable à la texture douce de sa peau constellée de légères taches de rousseur, les souvenirs, aussi, des matins d’équinoxe occupés à pêcher les crustacés dans de petites balances tenues par des cordelettes.

Il faisait froid ces matin-là où la brume mordait les mains jusqu’à les engourdir. Hêtres, pins maritimes et chênes verts scandaient le cheminement dans la forêt tandis que l’odeur de la criste et de l’immortelle annonçaient l’estran encore nappé d’un voile d’argent.

Déjà les langues de schiste commençaient à se dévoiler. Sombres, elles plongent dans l’océan à chaque marée haute et se fondent avec le sol dès que les flots se sont retirés. À mesure que les vagues quittent le rivage, commence la descente progressive, balances en main, jusqu’à l’endroit où l’eau cesse de s’éloigner en négatif de l’altitude zéro.

Dans la litanie du sac et du ressac, les petits filets cerclés de métal flottent et disparaissent tenus par leur cordelette. Sortis de l’eau, ils dévoilent ce que l’océan garde en son sein. Ces petits crabes qui s’agitent et qui semblent surpris d’être tirés d’un abîme où les bipèdes n’osent s’aventurer.

Ces jours-là, qu’importe si la pêche fut un succès ; il m’était plus intéressant de courir sur les rochers, de créer des barrages dans les trous d’eau et des torrents dans le sable. Aujourd’hui, il m’a plu d’imaginer qu’un crustacé sans nom a retrouvé son milieu à la marée montante. Il y eut ni proie ni conquête, seulement une énième description d’un souvenir associé à un lieu. Un nouvel arpent dévoilé du territoire que je fréquente.

Il aime quand je lui parle de mes souvenirs, quand je me perds dans un monologue face au paysage avant de me raccrocher à ses yeux qui ne semblent pas se lasser. Il y eut ni proie ni conquête, je ne suis pas sûr d’aimer capturer ou conquérir, seulement mes mains contre une peau que je connais et mon attention envers un souffle que j’ai plaisir à écouter. Et cette nuit, une petite étrille qui retrouvera son gîte au fond de l’eau.

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