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Fragments écrits - Journal

Je suis sorti

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Je suis sorti, sans mon attestation je le reconnais. Je suis sorti sans mon attestation mais je ne suis pas allé bien loin. Pas bien loin physiquement je veux dire. Et je n’ai croisé personne. La Lune était gibbeuse et je ne dormais pas. Je suis sorti et j’ai marché dans l’allée. La Lune était gibbeuse, si peu décroissante que je ne dormais pas et, sur ma droite j’ai vu l’arbre devant lequel nous étions pris en photo quand nous étions petits. Pas l’arbre mort qui reste droit face à sa chute inévitable, celui juste à côté dont le tronc dessine une fourche proche du sol. J’ai marché jusqu’à m’arrêter au milieu de la chaussée, dans la rue. Pas la moindre lumière à l’horizon, ni sur l’asphalte, ni à travers les fenêtres. Seulement une chaleur un peu faible libérée par le sol, reliquat d’une journée où l’air était lourd pour la saison. J’ai regardé et je n’ai pu m’empêcher de me dire ce qui me revient souvent depuis des semaines : La nuit est redevenue la nuit.

Quand bien même elle finira par ne plus être la nuit – Je veux dire pas le lendemain matin, mais le jour où les bruits humains recommenceront à transpercer l’obscurité. –, elle a aujourd’hui repris ses droits comme on le dirait du monde végétal et animal recolonisant une ville désertée. Ce soir-là l’autoroute était muette, la route départementale mutique, et les chiens des alentours pas bien plus bavards. J’ai marché jusqu’à m’arrêter au milieu de la chaussée et j’ai regardé le ciel à travers le reflet laiteux de la Lune. J’ai surtout entendu le murmure des prés alentours. Non, pas un murmure mais plutôt une quantité de bruissements. Je me suis rappelé les sorties vespérales où, attifés de bottes et d’épuisettes, nous allions essayer de trouver quelques tritons dans les mares. Je ne sais pas quel bruit fait un triton mais le coassement des grenouilles je le connais. Et ce soir-là les grenouilles conversaient. Je n’entendais qu’elles. Finalement ce n’était pas une quantité de bruissements mais une immense clameur qui avait repris possession du ciel.

Je suis sorti, sans mon attestation je le reconnais. Je suis sorti sans mon attestation mais les grenouilles n’en avaient pas non plus.

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