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Fragments écrits - Journal

Faire le mur

La ville est ouverte. Sans remparts ni bastions mais seulement ceinturée de platanes et de tilleuls. Au croisement du cardo et du decumanus, l’esplanade ; le cœur civique et institutionnel balayé par les vents océaniques. Un pas, deux pas, peut-être un peu plus et c’est une ligne qui fuit dans l’horizon. Pas une rue sans une perspective, d’un côté ou de l’autre. Ici, les jardins sont ceux des maisons ; les places, plantées, se révèlent à qui veut bien les trouver.

Au midi, la ville devient insaisissable. La trame y est brisée par un mur dressé sans grâce ni préavis. Là était la pépinière et les prés courant jusqu’à la rivière. Aujourd’hui c’est une muraille tantôt couverte d’un enduit informe, tantôt frappée par une lame de briques. Mutique paraît le schiste, mais sur la pierre inerte des campanules semblent attester que la vie y est possible. Il n’y a pourtant plus de traces des cordiers qui s’arrachaient les paumes en tissant le chanvre dans la contre-allée. Il y a bien longtemps qu’ils reposent dans la terre du plateau boréal.

Mais aujourd’hui, et qu’importe la disparition des cordiers, la ville est déserte. Elle est ouverte sans qu’il ait fallu rendre les armes. De son temps, Raymond Queneau voyait ici une pesanteur vespérale lui faisant penser aux villes d’Espagne. L’atmosphère qui règne ce jour est une lourdeur sèche et sans reliefs ; et parce qu’elle est sèche, elle ouvre le champ à quelques onirismes, encore faut-il parvenir à se dessaisir du reste.

Quand on est enfant dans les années 1990, ce mur est un objet de fantasmes. Les odeurs, d’abord, se superposent. Celle du café torréfié, on ne sait où mais pas très loin, puis les émanations de fumier qui prennent les narines. Les cliquetis, claquements et autres fracas se greffent à ce paysage olfactif et, sans crier gare, un hennissement vient briser davantage le rythme de la cité. Sans les voir, on se prend à imaginer, prêtes à s’élancer, les cavales de Neptune ou une myriade de Pégase. La réalité d’adulte est plus élémentaire mais aujourd’hui c’est la ville hors-le-mur qui est recluse tandis que demeure le rêve dans son cerclage de schiste et de moellon.

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