Chère Éléonore,
Il est des nouvelles que l’on redoute, d’autres dont on imagine qu’elles ne peuvent pas arriver. Votre disparition est un mélange des deux : dans l’ordre des choses quand on regarde froidement le sens ordinaire de la vie, inattendue pour qui ne voit que votre éclatante force d’esprit.
On est un peu timide quand on a dix-sept ou dix-huit ans, et c’est en garçon timide que je vous ai envoyé ma première lettre. C’était il y a dix ans. Je vous parlais de cette sculpture de Nicolas Schöffer installée à La Roche-sur-Yon dans la même période que trois autres de Yaacov Agam, Carlos Cruz-Diez et Antonio Asis. Vous étiez du même avis que moi sur l’importance de ces œuvres et vous n’avez cessé de m’encourager à me battre pour qu’elles soient entretenues et reconnues. Vous saviez que cela serait compliqué, ça l’est toujours, mais vous n’avez jamais douté de mes inflexibles convictions car vous aviez les mêmes. Notre cellule de crise par téléphone et par mail quand une œuvre de Carlos Cruz-Diez a été détruite en 2014 ne peut qu’attester de cela. Dans mon cheminement, vous avez été là pour me guider culturellement mais surtout, même dans les pires moments d’abattement personnel, pour me convaincre que la voie était la bonne et que j’avais tout en moi pour avancer.
Depuis 1992 vous avez été la gardienne de la mémoire et de l’œuvre de Nicolas Schöffer ; plus que cela, vous en étiez l’âme. L’âme généreuse et énergique, mue par la poésie et la lumière. L’essence même d’un art inscrit dans la vie quotidienne, attaché aux Hommes et à l’espace, scandant le temps et la course du quotidien. Quand on regarde Nicolas Schöffer à Liège, Lyon, Villeneuve-d’Ascq, Paris, etc. on regarde Nicolas mais également Éléonore. Sans vous tant de choses n’auraient pas été transmises et dépassées. Vous avez assuré l’inscription de l’art de Nicolas Schöffer dans le quotidien, la permanence d’une œuvre et son adaptation aux évolutions du monde.
J’ai eu envie de vous envoyer un message avant-hier, j’ai encore trouvé des informations sur Chronos 8. Petit à petit nous sommes parvenus à démêler les fils et à faire de cette œuvre autre chose qu’un squelette de métal rouillé. Ne restait qu’à convaincre qui de droit de la faire restaurer pour lui redonner son utilité sociale, pour vous je ne cesserai de lutter en ce sens. Dans mon message je voulais vous dire, aussi, que je comptais passer à Paris prochainement. La dernière fois nous n’avions pu nous croiser, j’aurais aimé pouvoir visiter la Villa des Arts avec vous. Tant de regrets de ne pas l’avoir fait. Reste cette phrase par laquelle vous m’avez tout dit : « Votre chemin est le bon il vous mènera plus loin que vous n’imaginez. On a besoin de gens comme vous. »
Où que vous soyez aujourd’hui, je vous embrasse !
William
Photo : Christelle Westphal