Catégories
Propos culturels

La chapelle Sainte-Thérèse de Saint-Jean-de-Monts

Ce texte est la version définitive (non imprimée sous cette forme exacte) de ma contribution pour l’édition de mai 2018 des Cahiers de l’histoire du Pays Maraîchin, AREXCPO.

image

Détruite en avril 2016, la chapelle Sainte-Thérèse a été pendant quatre-vingt ans un marqueur inconditionnel du quartier des Demoiselles et de l’architecture balnéaire de la côte vendéenne. Érigée de 1925 à 1932, elle est l’un des premiers lieux en France à avoir été dédié à la sainte de Lisieux canonisée le 17 mai 1925.

Une genèse inscrite dans la création d’un quartier

À la frontière entre Saint-Jean-de-Monts et Saint-Hilaire-de-Riez, le quartier des Demoiselles a été bâti à compter de 1925 jusqu’à devenir un ensemble urbain d’environ 75 hectares de superficie. À l’origine, le quartier est un terrain occupé par les troupes américaines de 1917 à 1919.1 Sont aménagés un terrain d’aviation, un champ de tir, un réservoir d’eau etc. C’est là que, dans les années 1920, Valentin Guérin reçoit un héritage de ses tantes, les demoiselles Chaillou. Des parcelles sont créées et vendues. Ainsi, les premières habitations sortent de terre au milieu des rues tirées au cordeau. C’est sur un terrain de 2000m2, acquis plus tard par l’association diocésaine de Luçon et bordant l’actuelle avenue Valentin, que la première pierre de la chapelle Sainte-Thérèse est posée et bénie le 15 août 1925.

Le bulletin paroissial de septembre 19252 indique :

« La première pierre a été bénite le samedi 15 août.

La bénédiction a été une bénédiction privée, en attendant une cérémonie liturgique plus imposante. Il y a avait néanmoins une foule énorme d’assistants. M. Charpentier, d’Angers, organisateur de cette plage, avait même fait venir la société de musique dont il est le président. Les numéros choisis ont été exécutés de façon impeccable. Au premier rang de l’assistance, on voyait M. Valentin Guérin, propriétaire de la vaste étendue des terrains qu’on appelait autrefois les « champs-Gaillards » et auxquels on a donné le nom de Plage des Demoiselles, en souvenir des deux vénérables sœurs, les demoiselles Chaillou. On voyait aussi M. Lecoq, ancien imprimeur à Angers, qui est le bras droit de M. Charpentier, et qui veillait à tout. En petit comité, on a dégusté du vin d’Anjou, du meilleur cru, à la prospérité de la nouvelle Plage. »

Après sept années de travaux menés notamment par de nombreux bénévoles, la chapelle est consacrée le 7 août 1932. Le compte-rendu publié dans le bulletin paroissial et la Semaine catholique témoigne de la ferveur alors exprimée3 :

« Certes, dimanche dernier, il y eut du bonheur à Saint-Jean-de-Monts, il y eut de la joie. Et l’on n’oubliera pas ce jour : car si le cœur de l’homme filtre si facilement les souvenirs douloureux, il garde au moins ceux des beaux jours… Et ce fut pour nous un beau jour que celui du 7 août.

Le temps lui-même était en fête et avait soigné sa toilette : le ciel était bleu, à peine quelques nuages blancs qu’il avait mis à sécher. Dieu bénissait déjà notre fête, et la petite sainte du carmel effeuillait déjà pour nous ses premières roses…

Dès le matin, le vicaire général, M. le chanoine Massé, délégué par Son Excellence Mgr Garnier, se rendait à la chapelle de la plage des Demoiselles pour la bénir. Ainsi sanctifiée, Dieu en prenait possession et pouvait s’immoler une première fois sur ce nouvel autel. La bénédiction achevée, M. le vicaire général célébrait en effet la messe que servit M. Valentin Guérin, auquel on doit en partie l’achèvement de la chapelle. Quelques fidèles, avertis à temps assistèrent à cette cérémonie tout intime : le triomphe extérieur de sainte Thérèse était renvoyé au soir.

Les cloches appelèrent bientôt les fidèles à l’église paroissiale pour la grand’messe, à l’issue de laquelle devait avoir lieu la bénédiction de la nouvelle salle du patronage. Depuis le matin, notre bonne grande salle, les yeux bien clos, le dos bien rond au soleil, attendait la visite officielle du Bon Dieu. La messe achevée, le défilé s’organise, il longe l’allée du presbytère au chant du Magnificat et quinze cents personnes pénètrent dans la salle qui put les abriter dans ses larges murs. M. le vicaire général prend place sur la scène assisté du clergé, du conseil de fabrique, du conseil municipal. Aussitôt la bénédiction, M. le doyen prend la parole. En termes émus, il exprime à tous sa reconnaissance, il remercie Son Excellence Mgr Garnier de l’avoir aidé de ses conseils et soutenu par ses encouragements, il témoigne de sa gratitude à M. le vicaire général, il s’adresse enfin à ses paroissiens… Et là l’émotion le gagnait. Tous comprirent ce qu’il portait au cœur, et de tous les yeux, brillants, la même fierté semblait jaillir, celle précisément de leur pasteur vénéré. M. le vicaire général nous dit alors la joie qu’il éprouvait et les espérances que Monseigneur fondait sur la paroisse de Saint-Jean-de-Monts.

Mais la fête n’était point terminée. Dans l’après-midi, on devait se rendre à la chapelle de la plage des Demoiselles pour fêter sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, à laquelle la chapelle est dédiée, et pour remercier Dieu… Rendez-vous était donné à toute la paroisse à l’entrée de la forêt de pins où devait s’organiser le défilé. A 2 heures ½, la fanfare rappela les fidèles qui étaient allés chercher de l’ombre sous les pins. Bientôt le défilé s’ébranle, et aux chants de cantiques en l’honneur de sainte Thérèse, il aune lentement de son long ruban l’avenue qui relie les deux plages.

À l’arrivée, les fidèles se groupent à l’entrée de la chapelle trop étroite pour contenir toute la foule. M. le vicaire général prononce alors un discours très écouté. Il remercia les baigneurs d’avoir donné à Dieu une demeure, pour que de là il veillât sur eux et les consolât. Il fallait en effet regarder avec d’autres yeux cette chapelle… Tout le bonheur d’attente qui était enclos sous ce clocher ! On en rêvait depuis longtemps, on le sait. La bonne petite chapelle bien à part, bien intime où désormais l’on se réunira, où l’on entendra la messe, le dimanche, où se tiendra l’Ami au nom duquel s’était préparée aujourd’hui toute cette joie, la chapelle qui rappellera la paroisse parisienne avec, en moins, sa vie trépidante ! Tant de mains pieuses ont aimé, ces mois-ci, à travailler pour elle. Aussi Dieu n’a-t-il plus qu’à bénir ceux qui ont contribué à ériger sa nouvelle demeure. La foule recueillie chante le Tantum ergo, et Jésus-Hostie, porté par M. le vicaire général bénit tous les assistants. Et c’est fini… la foule se retire lentement emportant avec elle un souvenir qui ne s’effacera point. »

Après la Seconde Guerre mondiale, le développement du quartier des Demoiselles conduit à un agrandissement du bâti grâce aux dons du baron Jacques D’Assignies qui permettent notamment la construction d’une chapelle d’été à charpente métallique. Cette même famille D’Assignies offre onze vitraux pour la chapelle d’origine.4

image

Peu d’événements marqueront la période contemporaine de la chapelle, sinon la disparition de quelques statues, des autels latéraux et de la clôture de chœur en métal forgé dans un style Art-déco rare en Vendée.5 Emblématique du développement balnéaire de Saint-Jean-de-Monts le quartier des Demoiselles est constitutif des souvenirs de milliers de familles depuis l’entre-deux guerres. La chapelle Sainte-Thérèse qui a accompagné son développement est devenue un repère affectif pour de nombreuses générations de vacanciers et habitants.

Un style unique en Vendée

Au fil de la construction du lotissement par des familles de tous horizons sociaux, la marque de la chapelle s’est imposée dans le paysage urbain comme en témoignent nombre de fenêtres à angles brisés là où la proportion sur une zone réduite est habituellement moindre. L’angle brisé est une des nombreuses caractéristiques du style balnéaire mais aussi de l’Art-déco. Grâce à la chapelle, le quartier des Demoiselles en offre un bel échantillonnage. L’expression du décor architectural de la chapelle Sainte-Thérèse est simple.6 L’ensemble est rythmé par le triplet aveuglé de briques en façade ainsi que par le béton imitant un appareil de pierre sur les parties hautes et entourages divers. De chaque côté, quatre lucarnes à deux pans sont en saillie sur le mur et prolongent l’esprit d’élancement du bâti de tête. Les pans aigus, qui couronnent le clocher et les ouvertures, accentuent le dessin vertical du triplet de façade et des fenêtres latérales. Plus adoucies, la porte et son avancée marquent une ouverture sur la rue, comme un appel à pénétrer dans le sanctuaire.

En arrivant de la plage, la chapelle Sainte-Thérèse se dégage au centre du terrain grâce au dénivelé dunaire. A l’opposé de l’orientation courante d’ouest en est, c’est le dégagement visuel provoqué par une progression du sud au nord qui a été choisi. L’axe de la chapelle est l’exacte diagonale de l’îlot formé au sud par les avenues Valentin et des Grenadiers, au nord par les avenues de la Plage et des Glycines.

La scansion architecturale extérieure est reprise à l’intérieur avec une opposition entre les fenêtres verticales et une voûte généreuse par sa largeur. Dans l’étroit chœur qui se réduit dans sa hauteur, les trois verrières élancées en pyramide rappellent le dessin de façade. Le signal visuel depuis la rue est ainsi transposé dans la chapelle en un appel vers l’autel.

On l’aura compris, l’équilibre est de mise et la chapelle Sainte-Thérèse reprend dans une moindre mesure des motifs propres aux grands édifices religieux Art-déco tels l’église de la Sainte-Famille de Villeurbanne ou la Maison saint Louis Beaulieu à Bordeaux.

L’architecte de la chapelle Sainte-Thérèse n’est pas connu. Néanmoins, certains attribuent sa conception au lotisseur angevin Charpentier. C’est probablement dans l’entourage de ce dernier qu’il convient de chercher. La voûte lambrissée est quant à elle attribuée au charpentier de marine nantais Pierre Huchet.7 Pouvant rappeler une coque de bateau retournée, l’ensemble de bois possède une caractéristique régulière dans le courant Art-déco, à savoir une conception parabolique et non semi-circulaire.

Le programme verrier moderne s’inspire de la simplicité de la chapelle de 1932. Commandés et installés au sein des années 1960, les onze vitraux ont un style qui se rattache à la période tardive du courant Art-déco. La chapelle étant elle-même assez austère, le parti-pris pour les vitraux répond, des décennies après, à l’architecture initiale. Non signés, les vitraux sont semblables à certaines verrières d’églises vendéennes comme Saint-Vincent-sur-Jard et L’Aiguillon-sur-Mer, il nous est possible de les attribuer au maître verrier vendéen Roger Degas ou à son entourage8. Le verre employé est un verre sans grisaille soufflé à la bouche. En fonction des couleurs, l’assemblage est composé d’une ou deux épaisseurs.9 Les motifs représentés à Saint-Jean-de-Monts se rattachent à la Vierge Marie, à la présence de la mer et à sainte Thérèse. En ceci, le triplet du chœur, orné de roses et d’une croix rayonnante, est l’apothéose de l’ensemble du décor de la chapelle.

Au regard de l’architecture religieuse de la côte vendéenne, la chapelle Sainte-Thérèse constituait, avant sa destruction, un élément unique et représentatif des courants balnéaire et Art-déco. A elle seule, la mise en scène de la chapelle dans son environnement est un exemple remarquable. La construction simultanée au développement du quartier a offert une correspondance rare entre le monument et les habitations voisines. Plus tard et dans un quartier voisin, la chapelle des Goélands, bâtie durant les Trente-Glorieuses par Jean Debarre, a affiché la même correspondance avec son environnement architectural.

William Chevillon

image

Bibliographie partielle et notes suivant renvois:

1 : Pierre Averty, 1917-1918 Les Américains en Pays de Monts, Offset 5 éditions, 2003.

2 : Archives départementales de la Vendée, 4 Num 26, Bulletin paroissial de Saint-Jean-de-Monts, 1912-1948.

3 : Ibid.

4 : Cartouche du vitrail dextre du chœur et correspondances privées, janvier-mai 2015.

5 : Carte postale et autres éléments iconographiques, collection privée, consultation le 8 février 2015.

6 : Romain Grimaud, « Chapelle du lotissement balnéaire dite Sainte-Thérèse », Inventaire régional du patrimoine, région Pays de la Loire, 2011.

7 : Correspondances privées, janvier-mai 2015.

8 : Des repérages et recherches personnels menés dans les églises de Vendée permettent d’établir ce lien.

9 : Correspondance avec la vitrailliste Anne Brugirard, février 2015.

Sur l’architecture balnéaire :

– Séverine Paillé, Vincent Boutin, Camille Hervouet, L’architecture balnéaire en Vendée, CAUE Vendée, 2009.

– Louise Robin, Michel Brossard, Alain-Pierre Daguin, Vincent Jacques, David Bizeul, Villas & édifices balnéaires des Sables-d’Olonne, Éditions de Beaupré, 2012.

– Louise Robin, Vincent Jacques, Noël Fouque, David Bizeul, Olonne-sur-Mer nature & patrimoine, Éditions de Beaupré, 2013.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *