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Propos culturels

Branleuses, branleurs, luttez contre ceux qui vous oppriment !

Anne me rend jaloux parce qu’elle a de la chance d’avoir une meringue avec son café depuis que le serveur a appris qu’elle était chômeuse (Oui je sais, il est interdit de prononcer ce mot bien trop péjoratif comme un professionnel me l’a dit un jour. J’imagine que qualifier Anne avec un truc comme « auto-technicienne de l’insertion personnelle dans le monde du travail » est certainement plus digne et aidant). Il faut bien le dire, la meringue quotidienne en plus c’est la panacée dans une vie de chômage. Mais en dehors de ça, j’ai l’impression de lire une chronique que j’aurais pu écrire à ma manière, que la dame qui pleurait il y a quinze jours à Pôle Emploi aurait pu écrire aussi à sa manière, et là je ne suis plus jaloux mais compréhensif et ému.

« Le chômage tu l’aimes ou tu le quittes. »

Parce que son domaine de prédilection c’est l’art, Anne a toujours été une branleuse. L’organisation d’expositions… rien de très compliqué, même BHL sait faire. La médiation c’est pareil, c’est bien connu que ceux qui pratiquent connaissent tout sur tout et n’ont pas besoin de faire des heures non rémunérées à effectuer des recherches. Bref, Anne n’est pas à plaindre. Non, elle n’est pas à plaindre parce qu’elle touche des aides de l’État ce qui lui vaut l’honneur de figurer en Une de L’Express, du Nouvel Observateur (de « L’Obs », pardon)… une fois par semestre avec le joli vocable d’« assistée ». Dire qu’elle ose s’agacer des retards de paiement… non vraiment Anne va trop loin dans ses chroniques. Et puis il y a les choix, les projets culturels d’envergure financés 3000 € auxquels on ne sait pas s’il faut postuler… En résumé, une vie faite de questionnements permanents et où tout est fait de calculs et de tâtonnements.

Si je peux donner un conseil à Anne, c’est de vivre le chômage la tête haute. Accessoirement, ça m’évite de penser à mes problèmes, comme ça permet à ses amis de ne pas avoir à imaginer ce que serait pour eux une vie d’exclusion et de difficultés…

« L’art, mes enfants, c’est d’être absolument soi-même. » Paul Verlaine

Heureusement Anne est elle-même, ne se laisse pas faire et nous rappelle qu’elle est une femme douée de sentiments et d’émotions, comme tout le monde, avant d’être chômeuse. Aussi, dans ses Chroniques d’une branleuse, il y a la bienveillance de l’amoureuse imaginaire, les potes artistes ou écrivains, le regard d’un élu plongé dans le décolleté… J’ai particulièrement apprécié la Chronique n°25 qui part des blagues de Pierre David, le grand-père militaire d’Anne, pour aboutir à ce que l’humanité a de plus beau, la dérision et l’insouciance partagées. Un esprit de transgression que connaît bien Anne – puisqu’elle en est une fière ambassadrice – et qui n’a rien à voir avec la « crispation bien française de la place de chacun » dont elle parle au sujet des agents d’accueil de grands musées parisiens qui sont souvent réduits à une standardisation abaissante.

Ce que j’aime chez Anne, c’est son esprit critique et sa capacité à prendre les choses au second degré et avec légèreté là où la formalisation est légion. Cet humour est un moyen de dire les vérités que chacun se cache, tout en les explosant pour dévoiler un positif qui fait sûrement trop peur car non conventionnel.

J’ai le souvenir d’avoir rencontré Anne à la fin d’un stage que j’ai fait quelques mois dans un service culturel. On s’est revu brièvement depuis et à chaque fois c’était quelque chose de lumineux. Par ailleurs, dans les Chroniques d’une branleuse, j’ai retrouvé avec amusement un souvenir de lycée avec la Carte de Tendre (page 30) laquelle est associée à la question « Où vivre ? ». Je me dis qu’on pourrait jouer à comparer la carte version « Anne vue par les employeurs » avec celle de « Anne vue par les copains et les lecteurs. », je crois que j’ai déjà une idée du résultat !

« Branleurs de tous les pays, unissez-vous ! »

Anne parle de sa vie, de son expérience, du domaine culturel… mais elle parle surtout de ce que chaque chômeur vit en questionnements, en émotions… Oui, Anne est une femme amoureuse comme le chante Mireille Mathieu et une femme du XXIe siècle comme le dit Michel Sardou. Aussi, il est aisé de se reconnaître dans ce qui est écrit au fil des chroniques qui sont faciles à lire et à picorer. Il est possible de transposer les anecdotes et sentiments à soi, mais l’essentiel réside dans la sincérité du texte. Être d’accord importe peu, Anne écrit des histoires personnelles et c’est là sa plus grande force. En effet, chaque personnalité quand elle est exprimée franchement et dépourvue d’artifices, est une pierre baroque. A la fois décousue et cohérente, interrogative et pleine d’humour, autant complexe qu’éclatante. En lisant Anne, on redécouvre la liberté, la diplomatie un soir de vernissage, la vie avec des réductions à la piscine, comment concilier existence personnelle et recherche d’emploi… Bien plus que le récit d’une chômeuse, c’est chacun d’entre nous qui parle, à condition de reconnaître l’unité dans la diversité comme dirait Jacques Delors.

Les Chroniques d’une branleuse d’Anne David c’est aux éditions Vanloo pour un peu moins que le SMIC horaire brut au premier janvier.

William Chevillon, le 26 février 2015.

Nb : Le Ministère de la Santé met en garde ceux qui voudraient lire les Chroniques d’une branleuse un 24 février, Journée nationale du premier degré.

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