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Fragments écrits - Journal

C’est toujours ainsi que finit l’été

C’est toujours ainsi que finit l’été.

Il y a un moment où la ville est comme le sapin que l’on déshabille un soir de janvier. On décroche les atours, on les glisse dans un carton, on range la boîte et voilà que Noël finit dans une armoire entre le plaid qui servira s’il fait très froid et les doudous des gosses qu’on ne peut se résoudre à donner. Ce matin, voilà le son aigrelet de la nacelle en mouvement. Il crie à la ville engourdie que les goélands sont partis, que les tempêtes arrivent et qu’il est temps de retirer les papillons de plastique. Les papillons, on a jugé bon de les étendre par-dessus les rues, afin de décourager les volatiles marins d’y séjourner et d’égayer les jours où le ciel est ourlé d’averses. Dans la rue voisine, la marchande de pierres de toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les couleurs… sait que son distributeur de poignées de minéraux pour 2 € ne sera plus beaucoup sollicité. Juste à côté, on sent que la boutique de faïence anglaise ne rouvrira pas, ou alors peut-être. On se dit cela à chaque rentrée, mais cette fois c’est presque sûr. Au café, on accuse l’agence immobilière d’avoir compliqué les choses et on souligne que le vieux monsieur a bien eu du mérite de collecter les tasses, soucoupes et vases par mètres cubes pendant des années.

Sans l’ombre d’un doute, le décrochage des guirlandes de plastique c’est le signe que l’on range l’été dans une boîte et qu’il s’en échappera seulement l’année prochaine. Je n’ai pas vraiment envie de remiser mon été. J’aime les vagues, les feuilles, de vent, la pluie, mais j’ai presque besoin de jouer des prolongations. Certes je me suis baigné comme jamais auparavant et j’ai lu plus de livres qu’à l’accoutumée, mais ce n’est pas à ça que je pense. En revoyant mes anciens collègues, j’ai bien perçu que je sortais d’un vertige long de quelques mois. Il y a du manque, de l’affection, des réflexes, des joies évidentes et beaucoup de questions qui reviennent. C’est très différent des étés précédents à Paris, à Tours, à Rouen ou en Dordogne. Tout ce qui était déjà grand a pris aujourd’hui une place bien plus importante, comme si les petits semis s’étaient transformés en une masse bien plus étendue que l’imagination. C’est comme si ce qui était extraordinaire pour moi devenait soudainement accessible, comme si j’écoutais enfin ce que certains me répètent depuis toujours.

France Travail me met en rapport avec un cabinet de conseil dont l’algorithme m’avait annoncé il y a huit ans que « prêtre » était dans le top trois des métiers possibles en fonction de mon profil ouvert aux gens et à la transmission. D’avance, j’ai hâte des conclusions du prochain questionnaire. Je viens de rendre mon manuscrit et déjà qu’il me faut trouver des sous pour financer ce sur quoi je travaille depuis la fin de mon adolescence. Curieusement je ne m’inquiète pas, je me suis donné le droit de choisir. J’ai le sentiment que les choses reviennent, mais, entre-temps, j’ai rêvé, aimé et grandi. C’est toujours ainsi que finit l’été, mais cette fois-ci, il ne restera pas dans un carton.

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