Il est long le temps entre la prise de conscience et la reconstruction. Long le temps où l’on voit défiler des réponses embryonnaires et des esquisses d’apaisement. Je revois le garçon que j’étais, assis sur un emmarchement de béton que j’aimais bien – un petit côté Bauhaus mais d’après-guerre –, je revois également mes mains, arrimées sur ces marches et dont la peau était constellée des reliefs du revêtement à mesure que je me crispais sous les insultes.
Je me souviens de ce jour, il y a trois ans, où j’ai décidé de raconter, pour moi et les autres. Sans doute était-ce un hameçon lancé comme pour trouver une solution. Trois ans après, force est de reconnaître que les choses n’avancent pas si vite, que les peurs ne s’estompent pas toujours et qu’il faut parfois encore combattre contre ses vieux réflexes. Aujourd’hui encore, lever la tête dans la rue n’est pas naturel, pas plus que prendre une douche sans être prostré un minimum. J’ai enfin remporté une victoire majeure sur mon corps et je ne peux pas dire que je n’ai pas avancé dans ma manière d’être et de penser. Si ma façon de voir le monde doit beaucoup au choix du partage de l’art comme bouée de secours et d’émancipation, je dois admettre que les nombreuses avancées révèlent aussi des fractures qui ne s’étaient pas manifestées.
Écrire un article de journal, être sollicité par une télé locale… les opportunités n’ont pas manqué – elles restent fragiles – mais il faut sans cesse lutter contre un doute qui peut ronger et annihiler.
J’avais sous-estimé la portée du harcèlement scolaire dans mon cas tout comme je n’avais pas mesuré le nombre d’élèves croisés qui en ont été victimes. Il n’y a pas de petit harcèlement, pas de petites conséquences. Aujourd’hui, il est important de redire que l’on subit le harcèlement longtemps après. Il est également important de dire qu’il est beau et doux de cueillir les fruits de sa propre reconstruction après l’épreuve. Commencer à croire en un accomplissement qui viendra est peut-être le meilleur acquis des dernières années.
Billet écrit il y a trois ans : https://williamchevillon.fr/index.php/2015/10/30/sur-le-harcelement-scolaire/