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Fragments écrits - Journal

« Bonjour mon grand, t’as pas de boulot ? »

Ce jour-là ça n’était pas la dernière fois. Seulement l’un de ces moments habituels à boire un décaféiné soluble sous le patronage d’une queue de vache suintant dans la cocotte et du canevas représentant un cerf près d’un torrent. Au moment de la quitter, elle déclara, de manière tout aussi abrupte qu’en ouvrant la porte une heure plus tôt, « T’es beau comme un as ! »

Il fallait cueillir l’instant, capter ce compliment inattendu, presque aussi doux que les pâtisseries pressées dans l’antique gaufrier Gorenje et conditionnées dans un sac en plastique de supermarché. Parfois, il y avait sa Supercinq dans la cour de la maison ; souvent le jour de Noël. La difficulté d’alors était de trouver un cadeau pas trop durable mais pas trop ridicule non plus. Le type de présent qui serait apprécié sans devenir encombrant plus tard.

Un jour il y eût une voiture moderne devant chez elle, celle de mon petit-ami. Elle n’y vit pas d’inconvénients, pas une seconde, sinon qu’il ne pouvait m’apporter un travail stable. Le secteur culturel, elle s’en méfiait. Les choses simples l’attiraient davantage.

Un soir, Papy apporta un poste de télévision. Il avait un peu bu, ce qui était rare. Après qu’il se soit fait remonter les bretelles la télé est restée. C’est elle qui devint sa compagne du quotidien, c’est par elle qu’elle me voyait quand je travaillais trop loin pour la voir.

Arriva le moment où elle quitta sa commune natale, ce qui n’était jamais arrivé sinon pour voyager ou pour des besoins médicaux. Longtemps déjà elle avait laissé derrière elle la ferme et la maison de famille. Le vieux Léon était mort, les pins parasols avaient tous disparu ; et le terrain de bord de mer synonyme des vacances en Renault 16 était devenu une jachère face à une zone pavillonnaire.

Voilà ce qu’elle était et c’est parce qu’elle a toujours eu la rudesse d’âme des femmes que le travail de la terre a façonné qu’elle m’est encore plus absente depuis quelques semaines.

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