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Destruction d’une œuvre de Carlos Cruz-Diez, retour sur buzz

En juin dernier, j’ai tenu à alerter le public, l’artiste, les collectivités… au sujet de la destruction de la Colonne chromointerférente de Carlos Cruz-Diez qui trônait depuis 1972 à La Roche-sur-Yon. Depuis, le billet d’humeur a fait son chemin et c’est un article de Ouest-France sur le sujet qui a fini par réveiller l’opinion en cette fin de semaine.

Quand j’ai lancé l’alerte, il y a tout de suite eu des réactions dans le domaine culturel et artistique et assez rapidement la Fondation Cruz-Diez a été prévenue. Il a pourtant fallu attendre que la valeur de la sculpture détruite soit révélée pour que naisse soudainement une prise de conscience plus large. Quiconque connaît un peu Carlos Cruz-Diez sait que ses structures sculpturales se chiffrent facilement en centaines de milliers d’euros. Néanmoins, je n’ai pas voulu appuyer sur ce point sachant que la valeur artistique est plus intéressante. Je suis heureux que le sujet puisse dépasser les frontières locales et susciter un émoi assez large, mais je trouve dommage que l’on retienne principalement le chiffre de 200 000 euros. Je n’ai jamais été attaché à la valeur financière de l’objet artistique, mais comme souvent c’est ce point qui fait naître l’intérêt. Avec l’argument financier, tout de suite il y a eu un changement de position du Conseil Général. On est passé du mépris, du refus de comprendre  – un responsable m’a dit texto que la Colonne de Cruz-Diez n’était pas une œuvre d’art – et de l’indifférence à une position inattendue consistant à s’excuser et à promettre réparation. Trois ans après avoir lancé les premières alertes et avoir contacté les collectivités concernées, il faut en arriver à parler d’argent pour interpeller. Hélas, c’est le cas pour nombre de départements, régions, villes… en ce qui concerne l’art dans l’espace public…

Finalement, très peu de retours presse font état de l’importance artistique de Carlos Cruz-Diez dans l’art contemporain mondial. Carlos fait partie de cette génération d’artistes étrangers qui sont arrivés en France après 1945 et ont donné un coup de fouet à une production artistique rarement audacieuse. Spontanément, je pense aux écrits de Catherine Millet qui traitent le sujet et qui méritent d’être considérés sur ce point notamment.

Carlos Cruz-Diez c’est la couleur et la couleur est fondatrice de l’Histoire de l’art. Je pense de prime abord à la polychromie médiévale où l’action de peindre consistait à donner signifiance spirituelle. D’après les études récentes sur le sujet, la couleur était alors parfois considérée comme un filtre entre deux univers, quelque chose pas totalement matériel qui place les esprits humains en lien avec ce qui est extraterrestre. Chez Carlos Cruz-Diez, la couleur n’a pas évidemment le même sens mais elle est aussi là pour donner signifiance à un espace et c’est le fait de se baser sur la couleur, rien que la couleur, qui est formidable avec  le maestro franco-vénézuélien !

Dans un collège comme celui des Gondoliers à La Roche-sur-Yon, le 1% artistique (oui, il faut bien préciser que l’œuvre n’a pas été payée 200 000 euros à l’origine) est là pour casser cette aseptisation de l’espace public conditionné par un bâtiment fait de modules préfabriqués et intégré dans un quartier résidentiel parfaitement banal. L’œuvre est là pour interroger, il ne s’agit pas d’aimer (il n’y a pas de consensus en art) mais au moins d’avoir un repère qui fait l’unicité du lieu. C’est con à dire mais il est fondateur pour l’Homme d’être entraîné hors du joug représenté par l’uniformité. Je peux citer les urbanistes et architectes Pierre Patte, Paul Chemetov et Roland Castro, ou les photographes André Mérian et Stéphane Couturier ; nombreux sont ceux qui assument une lutte contre la standardisation qui supprime tous les repères. En ceci, l’œuvre publique doit avoir un rôle fondateur et doit être honorée et en ceci la perte de la Colonne chromointerférente est un problème majeur accentué par la puissance artistique de Carlos Cruz-Diez. Certaines œuvres sont conçues pour être éphémères mais dans le cas présent non. Consulter l’artiste est la première chose à faire, la plus simple et probablement la plus respectueuse du public comme du créateur.

J’attends désormais de voir la concrétisation de ce qui est annoncé, et souhaitons que l’événement puisse servir de leçon pour tous. Il y aura, c’est certain, un avant et un après. Aussi, je suis fier d’avoir pu contribuer à mon niveau à lancer n émoi qu’il faut maintenant transcender. L’œuvre n’est signifiante que si on la soigne et si on lui donne son rôle social par la médiation notamment. Il y a fort à faire dans le domaine et trois ans après l’anniversaire du 1% artistique cela est criant.

William Chevillon, le 19 juillet 2014.

NB : j’en profite pour embrasser Carlos Cruz-Diez ainsi que Éléonore Schöffer

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